Matmatah : “Ça devient un acte politique de faire une chanson de plus de 5 minutes”
Cinq ans après “Plates coutures” et une tournée sold-out, Matmatah revient avec un sixième album atypique… Le groupe de rock français, en concert ce samedi soir à la Madeleine de Bruxelles, casse les codes, explose les formats et sort ainsi un double album : Miscellanées Bissextiles.
Publié le 12-03-2023 à 16h56
”Ce n’est pas un retour pour nous, assure le leader et cofondateur du groupe, Stan, alias Tristan Nihouuarn qui sort un double album dont le morceau d’ouverture -Erlenmeyer- fait plus de 19 minutes (et deux autres font plus de 7 minutes). Car on aurait dû revenir deux ans plus tôt mais le Covid est arrivé… Après la tournée colossale de 2018, on voulait refaire un disque mais on ne voulait plus se voir par contre (sourire) !”
Le chanteur breton de 49 ans s’explique. “En tournée, on était les uns sur les autres… Mais bon, voilà, on s’est dit que comme on ne voulait plus se voir, on va faire un disque en télétravail. On a donc été précurseurs là-dessus ! Ça a du bon le télétravail, même en musique, car il se passe des trucs qui ne se passent pas forcément quand on se retrouve de manière classique dans une salle de répétitions où tout le monde essaye de sauver son ego. Car, finalement, c’est un peu ça la création. Or ici, on se donnait de plans de chansons et chacun allait au bout de ses idées. Après, on a rassemblé tout ça et on voit ce qui se passait.”
Peut-on parler d’un tournant dans la carrière de Matmatah ?
”J’ai l’impression qu’on fait des tournants depuis 28 ans en fait ! Mais peut-être qu’on tourne en rond du coup ? On est sur la bordure extérieur là peut-être (sourire). On a un peu explosé les formats de chansons aussi. Quand, dans un plan de chansons, tout le monde a des bonnes idées… ben, du coup, on est obligé de rallonger la chanson. On est donc un peu à contre-courant de ce qui se passe en ce moment où on a tendance à raccourcir les chansons pour avoir un max de clics.”
Un pari osé, justement, non ?
”Oui, mais bon, c’est de l’artistique. On n’est pas de cette génération du streaming et tout ça. On y participe, on observe mais nous, on écoutait des groupes de rock comme Sweet Smoke, etc. Puis je fais confiance au public. Je pense qu’il est curieux. Puis, finalement, on en parle car ça devient un acte politique de faire une chanson de plus de 5 minutes (sourire) ! Si on en parle, les gens seront peut-être curieux de se taper une plage de plus de 3 minutes. Beethoven, il ne se faisait pas chier ! Mais il y avait moins de streams à l’époque aussi, c’est vrai (sourire). Non mais il faut prendre le temps, à un moment donné, de se poser et réfléchir à sa vie. Méditer. Ce genre de morceau peut être la BO de cette méditation.”
Et puis il y a un nouveau venu dans la bande, ici à vos côtés.
Oui, Léopold (aka Leo, à la guitare électrique, NdlR.) Riou. Leopold 1er du nom comme chez vous en Belgique (sourire) ! Vaut mieux le premier car le deuxième il avait une moins bonne image… Non mais il nous a rejoints officiellement il y a un an et demi sur le festival des Vielles charrues. C’était son casting. On avait besoin d’avoir l’aval de 70.000 personnes pour être sûr de le garder et puis ça l’a fait !”
"Je ne crois pas que le rock est mort parce qu’on est dans de la musique organique, imparfaite et c’est cela qui plaît aux gens inconsciemment"
Un moment flippant pour vous, Léopold ?
”Euh… pas du tout (sourire). On s’est rencontré lors d’un repas. Une semaine après, je suis arrivé en studio de répétition en Bretagne. Ils étaient tous les trois là, Eric, Scholl et Stan. Moi, j’étais angoissé car je n’avais jamais fait d’audition de ma vie. Je suis arrivé et je les ai sentis aussi mal à l’aise que moi d’auditionner quelqu’un (il n’était en effet que le second, NdlR.). C’était chouette car on a fait du rock comme en répétitions.”
Stan. “Il avait bossé 8 morceaux que nous, on ne savait plus jouer (rire) !”
Leopold. “C’est vrai et on a vu que c’était possible. Ce n’était pas forcément un rêve de jouer avec eux mais plutôt de faire de la musique. Faire ce que je vis avec ces gars, surtout un groupe de rock, c’était un rêve de vivre tout ça. Et je suis content de le vivre avec eux. Ils sont aussi sympas que bienveillants.”
Certains disent pourtant que le rock est sur sa pente descendante…
Stan. “Oui ben, ça fait 60 ans qu’on le dit et il est toujours là. Je ne crois pas que le rock est mort parce qu’on est dans de la musique organique, imparfaite et c’est cela qui plaît aux gens inconsciemment. Les gens ne savent pas pourquoi elles aiment ce genre de choses mais c’est un peu ça aussi la magie du rock. Quand on a des produits maintenant formatés et des voix insupportables car elles sont trop justes… ben le rock, ce n’est pas ça. Quand tu fous un autotune sur une voix, tu ne peux plus t’identifier au chanteur car tu n’es pas une machine. Or, quand t’as un mec qui chante un peu faux sur une chanson rock, tu peux t’identifier (sourire) !”
Et que pensez-vous de la scène rock belge ?
”Elle est incroyable car un peu plus décomplexée par rapport à la France. Déjà, par rapport à la langue, vous ne vous emmerdez pas à chanter en français ou anglais : vous faites ce que vous voulez. On n’a peut-être pas les mêmes quotas ! Par la force des choses, on a plus chanté en français. Mais il est vrai que sur cet album, on a d’abord sorti un single en anglais et on s’est fait allumer en France. Peut-être par une 'fachosphère' mais c’était quand même le 21e morceau en anglais du groupe. Ce qui a posé problème pour certains, pour d’autres non. La langue, c’est comme un instrument de musique : quand tu en as marre de faire du piano, tu fais du violon.”
"La scène rock belge est incroyable car un peu plus décomplexée par rapport à la France."
Les gens sont restés sur les indéboulonnables comme Lambé an dro ?
”Non, juste un choc voire une trahison de faire quelque chose en anglais. Au final, il n’y a que deux morceaux en anglais sur l’album. Quant à ce titre, on le fait en concert pour le public quand même. Ce titre n’ayant aucun intérêt sans le public car il s’est approprié la chanson. On ne l’a pas joué seulement lors d’un seul concert de notre vie mais dès le lendemain on s’est dit : on va la refaire !”
Finalement, qui est Matmatah en 2023 alors ?
”Je crois que c’est un répertoire, un esprit, une patte et un public. Car il fait partie intégrante du show et qui se renouvelle. On ne l’avait pas vu venir en 2017 avec des jeunes de 15/20 ans dans les rangs. On ne savait pas trop d’où ils venaient. Les jeunes s’y intéressent et on est donc reparti pour 30 ans (sourire) !”
Vos textes sont justement parfois engagés mais très pessimiste sur le monde qui nous entoure…
”Oui mais pas que. On essaye d’avoir un peu d’espoir quand même. C’est compliqué d’être complètement optimiste aujourd’hui aussi. À part d’être des ravis de la crèche totalement inconscients. Le titre Obscène Anthropocène est d’ailleurs inspiré d’un astrophysicien vachement impliqué dans l’environnement afin de trouver une solution. Un discours pas marrant mais si cela peut inciter les gens à aller l’écouter, c’est gagné. Car son discours est dur mais nécessaire. Il faut faire quelque chose !”
Le rock français a donc aussi cette mission de faire passer un message ?
”Oui même si on est plus là pour illustrer notre liberté. Le rock c’est faire ce qu’on veut avant tout. Mais on ouvre notre gueule de temps en temps en effet. Ça ne doit pas être systématique car on est aussi là pour divertir.”
