Avec la mort de Jean-Louis Murat, la chanson française perd le plus bougon de ses orfèvres
Le chanteur est mort ce jeudi à l’âge de 71 ans. Hasard de la vie (ou de la mort faudrait-il écrire…), son premier Best of sort demain.
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Publié le 25-05-2023 à 13h36 - Mis à jour le 25-05-2023 à 14h05
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Vendredi à Tulle, il était encore en pleine forme, confie une fan irréductible. Pourtant, la nouvelle est tombée ce jeudi sur le coup de midi : Jean-Louis Murat est mort. Il avait 71 ans. L’information a été confirmée par la famille du chanteur auprès de France Inter. Un décès 24 heures avant la parution ce vendredi de son premier Best of chez Pias. Il n’y a pas trois ans, il refusait pourtant toute idée de compilation…
Natif du Puy-de-Dôme, l’Auvergnat a connu le succès sur le tard, à l’approche de la quarantaine. Il s’était pourtant fait remarquer au tout début des années 80 avec un single pour le moins provocateur : “Suicidez-vous, le peuple est mort”. Le titre est censuré sur Europe 1.
Il lui faudra cependant attendre près d’une décennie de plus pour percer, notamment à la radio. Il y a eu l’album Cheyenne automne (1989) avec les titres “Si je devais manquer de toi”, “Amours débutants” et “L’ange déchu”.
Un succès confirmé deux ans plus tard avec Le manteau de pluie et son tube “Sentiment nouveau”. Mais c’est surtout son duo avec Mylène Farmer sur “Regrets” paru sur la même année sur l’album “L’autre” qui boostera sa notoriété auprès du grand public.
Il dégainait les albums plus vite que son ombre
La suite a été plus compliquée jusqu’en 1996 et la sortie d’un album très froid, presque new wave, Dolorès. Trois ans plus tard, Jean-Louis Murat signait ce qui restera son chef-d’œuvre : Mustango. Un disque enregistré aux États-Unis.
Depuis, le chanteur avait enclenché le turbo et sortait quasiment un album tous les ans. Ce qui porte sa discographie à une trentaine de disques, certains nettement plus confidentiels que d’autres, il faut le reconnaître. Il ne se gênait pas pour déstabiliser ses fans avec des productions parfois très acoustiques et à d’autres moments rock (Parfum d’acacia au jardin, 2004), voire expérimentaux comme Travaux sur la N89 (2017).
"Je préfère déstabiliser [les gens], les faire réfléchir, les enthousiasmer ou même les dégoûter. Mais certainement pas les caresser dans le sens du poil, c’est une sorte de démagogie que je n’ai jamais aimée”, avait-il confié à L’Obs en 2014. Il a toujours tenu ce cap, que ce soit sur disque, lors de ses apparitions médiatiques (lire plus bas) et sur scène. N’avait-il pas pour principe de ne presque jamais jouer ses titres les plus connus, voire ceux de son nouvel album ? Ou de proposer en live des versions totalement différentes de ceux-ci. Les tournées Dolorès et Muragostang en sont le parfait exemple et existent sur disque.
En revanche, deux constantes s’imposent dans son œuvre outre un attachement vicéral à son Auvergne natale : une créativité sans pareil et une poésie qui fait mouche. C’est un orfèvre des mots, tout le monde s’accorde à lui reconnaître cela. D’ailleurs, de nombreux artistes ne s’y sont pas trompés. Jean-Louis Murat, Bergheaud de son vrai nom, a écrit pour Françoise Hardy, Julien Clerc, Michel Delpech, Jeanne Moreau, Isabelle Boulay et même Johnny Hallyday et Indochine (”Un singe en hiver”, “Karma Girls”). William Sheller avait eu le nez fin quand il a repéré l’Auvergnat à la fin des années 70 lorsqu’il officiait à la guitare et au saxophone au sein du groupe Clara.
Le roi de la mauvaise foi
À l’instar d’un David Bowie, toutes proportions gardées s’entend, l’Auvergnat s’est très vite lancé sur Internet. En 1998, il avait son propre site et il a commencé à distribuer gratuitement des inédits. Tout cela bien avant la crise du disque des années 2000. Une pratique qu’il a continuée longtemps même si la conviction n’était plus la même et les livraisons plus éparses. Il n’empêche, tous rassemblés, ces chansons remplissent aisément quatre à cinq CD bourrés à craquer. On y trouve donc des inédits mais aussi de nombreuses maquettes réalisées pour les artistes précités. C'est le cas de "Londres" écrit pour Jeanne Moreau. À écouter ci-dessous.
À côté du musicien et du manieur de mots talentueux, Jean-Louis Murat traînait derrière lui l’étiquette de roi de la mauvaise foi. Ses passages dans les médias étaient le plus souvent ponctués par des coups de gueule aussi spectaculaires qu’incompréhensibles. Que ce soient Les Enfoirés, Renaud, Michel Polnareff, Jean-Jacques Goldman, Alain Souchon, PNL qu’il gratifiait de “niveau du Club Dorothée” ou Johnny Hallyday, ils étaient peu nombreux à trouver grâce à ses yeux. Il y a trois ans, il s’en était même pris à Angèle dans un numéro de Paris Match comparant ses chorégraphies à des peep-shows…
Parfois, ses coups de gueule pouvaient même s’exprimer sur scène. Ce fut le cas en 2003 à l’Ancienne Belgique. Quelques minutes après le début du concert, il a renvoyé ses musiciens dans leur loge et continué seul. Stupéfait et dans l’incompréhension de ce qui se passait, le public a vécu ce soir-là un concert unique. Il était comme ça Jean-Louis Murat : imprévisible.