Le hip hop, culture underground devenue populaire, investit aujourd’hui Bozar. Jusqu’au 17 septembre, l’expo "YO Brussels Hip Hop Generations" retrace quarante ans du mouvement en Belgique. Rencontre avec trois rappeurs issus de ces générations successives.
"Tu me verras porter le drapeau de ma ville/Quitte à me prendre le plus beau râteau de ma vie…" C’est ainsi que débutait "BX Vibes", premier véritable hymne hip hop à la capitale de notre plat pays signée Scylla en 2009, bien avant "Bruxelles Arrive" de Roméo Elvis et "Bruxelles Vie" du nouveau patron Damso. Si certains s’en sont pris depuis, des râteaux ou de portes de radio, force est de constater que le temps de jardiner est passé. Aujourd’hui sa branche musicale, le rap, est partout : sur la toile, en haut de l’Ultratop, dans la bouche des ados, sur la FM ou dans les allées de supermarchés… Il apparait donc normal d’enfin le célébrer et de le voir pousser - comme c’est le cas depuis des années outre-Atlantique - la porte d’un grand musée. La même semaine d’ailleurs, notre service public se dotait d’un média flambant neuf pour célébrer cette culture urbaine que tous s’arrachent désormais. Jadis infréquentable, le rappeur est à la mode. De quoi faire grincer quelques dents. "Il y a sûrement un truc opportuniste du fait que cette expo arrive dans un contexte de percée du rap belge, remarque Veence Hanao, emcee bruxellois qui était de la seconde, de la 3e et entend bien être de la dernière génération en cours décrite dans l’expo. On peut s’en frustrer, ou peut-être ne pas se braquer et profiter de la lumière. L’avenir nous dira s’il y a eu un déclic au niveau des médias et des institutions, ou si c’est un intérêt de passage, qui s’arrêtera une fois la hype retombée."
Fixer, contextualiser
La question mérite en effet d’être formulée. S’il se la pose aussi, Kaer, vétéran à la table et pionnier de la scène rap belge y voit plusieurs avantages. "Durant des années, les rappeurs se sont plaints du manque d’intérêt. Donc on ne peut que se réjouir. Après, pour une culture ancrée depuis plus de 30 ans en Belgique, c’est néanmoins assez logique. D’autant que pendant ces années où la scène était boudée, nous, on a continué à bosser. Enfin, si ce genre de produit d’appel permet d’attirer les jeunes au musée, c’est encore mieux." Et de poursuivre sur l’importance de contextualiser : "Le hip hop est une culture jeune, vivante, qui évolue tout le temps et dont la nouveauté est l’un des principaux attraits. Ce qui est intéressant, c’est de fixer à un moment donné une ‘histoire’ dont, finalement, quasi personne ne sait rien." Enfin, Isha, comme Veence à la fois de l’ancien et du nouveau testament, synthétise bien la pensée de ses deux collègues de micro : "Je pense que c’est une bonne chose, tout en y voyant de l’opportunisme. Soudain, une grande institution se saisit du hip hop et pourrait faire de l’ombre à de petits organismes qui n’ont jamais arrêté de le faire, et aurait légitimement pu être impliqués au projet. La question déterminante est de savoir si ce sera notre expo ou la leur. Celle de ceux qui ont fait cette culture, ou celle de ceux qui aujourd’hui la théorisent."
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