Joaquín Murrieta, le bandit qui a inspiré Zorro
Prime Video a mis en ligne “The Head of Joaquín Murrieta”. Cette série raconte l’épopée d’un personnage mexicain en plein “Gold Rush”, dont on n’est même pas certain qu’il a existé. Chansons, films, pièce de théâtre… Un siècle et demi plus tard, Murrieta a traversé les âges. Portrait.
Publié le 12-03-2023 à 19h32
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C’est un geste anodin à l’origine d’un gigantesque “effet papillon”. Un coup de pioche planté droit dans la terre d’un général suisse richissime : Johann August Suter. L’homme qui tient le manche, ce 24 janvier 1848, est son employé. Un charpentier nommé James Wilson Marshall qui était censé bâtir une scierie, lorsqu’il débarque en trombe chez son patron une après-midi de pluie. Marshall est ahuri par la découverte qu’il vient de faire et demande à voir Johann. Seul à seul… Il évoque une affaire extrêmement importante. Tu m’étonnes. Quelques minutes plus tard, l’homme lui tend un bout de chiffon enveloppant quelques grains d’un métal jaunâtre. Oh my God, de l’or.
La lutte pour la vie est la loi du plus fort. On prend au lasso et on abat à coups de revolvers.
La nouvelle n’aurait pas dû quitter la Nouvelle-Helvétie, colonie établie par Suter, le pionnier. Raté… "San Francisco. La Californie. Suter ! Ces trois noms faisaient leur tour du monde, on les connaissait partout, jusque dans les villages les plus reculés. Ils réveillaient les énergies, les appétits, la soif de l’or, les illusions, l’esprit d’aventure. De tous les points du globe partaient maintenant des solitaires, des corporations, des sectes, des bandes vers la Terre promise”, écrivit, ainsi, Blaise Cendrars, en 1925, dans L’Or.
Rapidement, 300 000 personnes affluent sur le territoire de l’actuelle Californie, à l’époque où les États-Unis et le Mexique, après la guerre qui les a vus s’affronter durant deux ans, sont en train de négocier ses frontières. Les ambitieux avides de richesse arrivent notamment des États-Unis, de Chine, d’Australie, du Chili, du Pérou, de France, Belgique, d’Allemagne et du Mexique. Ce serait le cas de Joaquín Murrieta, un homme de Sonora (Nord du Mexique). Le conditionnel est important. Difficile, en effet, de déceler le vrai du faux autour du héros de la nouvelle série Prime Video.
Les Mexicains discriminés
Ce que l’on sait en tout cas, avec certitude, c’est que durant ce “Gold rush”, la concurrence est féroce. Parmi les orpailleurs qui s’en sortent le mieux, il y avait ceux de Sonora, comme l’a confirmé l’historien Richard Henry Morefield dans son article Mexicans in the California Mines, 1848-53. La première année, leurs compétences sont les bienvenues. Par après, leur succès est mal vu, notamment par les “Yankees” blancs. Une taxe est rapidement imposée. À partir de 1850, tous les étrangers doivent, en principe, se délester de vingt dollars pour pouvoir exercer. Elle sera appliquée aux latinos, aux Chinois, mais pas aux Européens. “Du Mexique, du Pérou et du Chili, ils ont afflué ici, meilleurs mineurs que les nôtres. Ils ont creusé, ils ont obtenu de l’or, et ils l’ont dépensé librement… Mais la loi inique a été votée… Ils n’ont pas pu le supporter”, déplore, ainsi, un magazine californien de l’époque.
Beaucoup feront le choix de partir. Ceux qui sont restés ont dû se battre. L’État est, alors, une zone "infestée de voleurs et de brigands”, selon les mots de Cendrars. "La lutte pour la vie est la loi du plus fort. On prend au lasso et on abat à coups de revolvers”, poursuit l’auteur de La Prose du Transsibérien.
Entre 1848 et 1879, deux chercheurs américains ont répertorié 597 lynchages de personnes d’origine ou d’ascendance mexicaine aux États-Unis. “Les contrôleurs des impôts chargés de faire appliquer ce texte étaient souvent accompagnés dans leurs tournées par des bandes de mineurs américains. Ces derniers n’hésitaient pas à saisir le prétexte de l’impôt pour molester violemment leurs concurrents mexicains”, écrit, aussi, Karl Jacoby, professeur d’histoire à l’université de Columbia spécialisé notamment dans l’Amérique de l’Ouest. “Il se peut fort qu’un de ces Mexicains chassés des gisements aurifères à cette époque ait été un jeune homme du nom de Joaquín Murrieta.” D’où sa légende…
La tête dans un bocal
Le nom du brigand mexicain apparaît pour la première fois dans les journaux locaux, au début des années cinquante. Ou plutôt son prénom car, au départ, ce personnage est uniquement défini comme “Joaquín”, puis sous un autre nom : "Carillo". Selon Karl Jacoby, “ce n’est qu’à compter de mai 1853 que le nom de “Joaquín Murrieta” se répandit dans les journaux.” Il est, alors, décrit comme un “célèbre hors-la-loi” qui avec sa bande “s’adonne au vol et au meurtre”. Murrieta et ses copains auraient tellement terrorisé le pays pendant trois ans, que les autorités auraient placardé des affiches “Wanted” à son effigie. Son prix, mort ou vif : 1 000 dollars.

C’est Harry Love qui toucha le jackpot. Joaquín Murrieta aurait été stoppé dans ses forfaits par ce célèbre ranger californien. Le capitaine et ses hommes ont rencontré une bande de Mexicains qui campaient. Ils firent feu et tuèrent ceux qu’ils pensaient être des malfrats. Les patrouilleurs coupèrent la tête de deux des bandits, dont celle du supposé Joaquín. Ils n’y sont pas allés de main morte. Sa tête fut détachée de son corps pour être plongée à l’intérieur d’un bocal rempli d’alcool. Pendant des décennies, des badauds ont payé un dollar pour contempler sa figure blême. Ce délire funèbre dura jusqu’au séisme de San Francisco qui dévasta la ville et ledit récipient en 1906. ”Pour les Américains, cette histoire symbolise le fait que leur arrivée dans la région a permis d’instaurer de l’ordre. Qu’avant, c’était le chaos. Tout le discours américain sur la conquête de ces lieux anciennement mexicains, tourne autour du chaos et évoque un gouvernement faible. Joaquín Murrieta justifie en quelque sorte, aussi, la conquête américaine”, analyse Karl Jacoby.
Pour certains, l’homme arrêté n’était pas le terrifiant bandit. Le vrai malfrat se serait échappé et caché. Certains encore pensent qu’il a fui à l’étranger. Pas sûr, même, qu’un vrai Joaquín Murrieta ait existé. Quoi qu’il en soit, il est pourtant resté dans la postérité.
Zorro, Neruda…
Sa célébrité contemporaine doit, sans doute, beaucoup à John Rollin Ridge, auteur de La Ballade de Joaquín Murieta, bandit mexicain (traduit en français aux Éditions Anacharsis et bientôt disponible en poche). Dans cet ouvrage fictionnel publié en 1854 – le premier roman écrit par un Amérindien – Ridge romantise l’histoire de Murrieta, un brave gars jusqu’à ce que des scélérats blancs violent sa bien-aimée devant lui. “L’âme du jeune homme s’assombrit considérablement”, écrit l’auteur cherokee, dont le peuple a subi, aussi, l’oppression des Yankees lors du Trail of Tears. De même, entre 1848 et 1858, la population indienne a diminué de 80 % en Californie. “En quelque sorte, il a mis beaucoup de l’histoire des Cherokees dans celle de Joaquin”, pense Karl Jacoby qui a écrit la préface du roman en français.
Les stéréotypes envers les Mexicains sont encore souvent les mêmes que durant le Gold Rush.
Cette version “positive” du bandit a semble-t-il fait des petits. Depuis le XIXe siècle dans l’État de Zacatecas et jusqu’à aujourd’hui, différents corridos (ballades) sont chantés à la gloire du Mexicain. Murrieta a, aussi, été le héros de plusieurs films, dont Robin Hood of El Dorado de William A. Wellman en 1936. Il y est, aussi, dépeint sous les traits d’un justicier. “Je ne tue pas les gens pour rien”, s’exclame-t-il. Plus récemment, en 1998, le réalisateur néo-zélandais Martin Campbell, s’est amusé à faire rencontrer le “M” et le “Z” dans Le Masque de Zorro. Murrieta et son frère sont des enfants, orphelins et totalement fans de Don Diego de la Vega. Pas un hasard quand on sait que Joaquín aurait été l’une des inspirations de Johnston McCulley, créateur de Zorro, pour donner naissance à son personnage.

Murrieta a aussi eu les honneurs de Pablo Neruda dans sa seule et unique pièce de théâtre. Le Mexicain devient Chilien, mais il est toujours oppressé par les Américains… Dans son texte publié en 1967, le poète s’amuse à faire parler la tête coupée. “Je demande camarade, que dans cent ans chante pour moi Pablo Neruda et ainsi dans l’inébranlable, printemps, le temps passera et on connaîtra mes œuvres.”
Neruda est décédé depuis, un siècle ne s’est pas encore écoulé, mais, pour la première fois, Murrieta est, donc, au cœur d’une série et plus que jamais d’actualité. En 2016, faut-il rappeler que Donald Trump avait traité les Mexicains de violeurs et de criminels ? Karl Jacoby, lui, ne l’a pas oublié… "Les stéréotypes envers les Mexicains sont encore souvent les mêmes que durant le Gold Rush. Joaquín Murrieta est une figure populaire qui représente la résistance chicano à la domination américaine, à l’injustice. Je pense que c’est pour cette raison que ce personnage est encore présent aujourd’hui. Pour moi, ces stéréotypes autour des Mexicains, ici, aux USA, s’expliquent principalement par le fait que le vrai crime a été commis par les Américains en s’emparant de la moitié du Mexique durant la guerre 1846-48. Et ça, les Américains ne peuvent pas l’admettre."
"The Head of Joaquín Murrieta" - Série de Mauricio Leiva-Cock et Diego Ramirez-Schrempp - Avec Liam Sharpe, Juan Manuel Bernal, Steve Wilcox... - Déjà disponible sur Prime Video (8x42').