Pénurie de médecins en Brabant wallon : la situation empire
Le nombre de patients par médecin flirte avec la barre des 600. Enquête sur un phénomène inquiétant.
Publié le 13-05-2016 à 16h38
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Le nombre de patients par médecin flirte avec la barre des 600. Il y a un peu plus de cinq ans, une partie des médecins officiant en Brabant wallon avait lancé un véritable cri d’alarme : la pénurie de généralistes dans la Jeune Province se faisait particulièrement ressentir. Notamment dans les communes de l’est du Brabant wallon (lire ci-contre).
Il faut dire qu’à l’époque, on recensait pas moins de 1.558 médecins sur le territoire provincial. Mais on ne comptait que 671 docteurs en médecine générale ayant un numéro Inami. Soit un médecin généraliste pour 568 habitants.
Et de ces médecins, on doit encore retirer ceux qui n’exercent plus la médecine générale - les médecins du travail par exemple ou les retraités - mais qui conservent leur numéro Inami.
Les représentants des médecins de la Jeune Province dénonçaient alors cette pénurie, indiquant que celle-ci pouvait être génératrice de burn-out dans la profession. Le nombre de patients par médecin étant particulièrement important, le nombre d’heures de consultations allait en augmentant. Et avec elles, les journées à rallonge.
"Cela risque encore d’empirer dans le futur", nous expliquait alors le docteur Le Polain, praticien à Braine-le-Château. "Dans dix ans, beaucoup de médecins qui ont une large patientèle partiront à la retraite. On doit agir maintenant pour enrayer cette pénurie."
Cinq ans plus tard, on ne peut pas vraiment dire que la situation se soit améliorée. Certes, on compte désormais 88 médecins supplémentaires en Brabant wallon par rapport à 2011 mais ceux-ci se sont principalement tournés vers la médecine spécialisée (gynécologie, ophtalmologie,…) ou ont été engagés par les cliniques et hôpitaux.
Résultat : on ne compte réellement que huit médecins généralistes de plus qu’il y a cinq ans. Soit une hausse de 1,2 % alors que, dans le même temps, la population du Brabant wallon a grossi de 13.770 âmes. Soit de 3,5 %.
La suite est logique : le nombre de patients par médecins généralistes a augmenté ces cinq dernières années pour atteindre le chiffre de 584 patients par praticien.
Avec de fortes disparités selon les communes : alors que l’on compte 339 patients par médecin du côté d’Ottignies/Louvain-la-Neuve (qui peut aussi se réjouir d’abriter un hôpital sur son territoire), ce chiffre passe à 1.460 pour Orp-Jauche, 1.130 à Ittre et 1.128 à Hélécine…

Voici les postes médicaux de garde !
Dès octobre, un numéro unique, le 1733, renverra vers un service de garde.
La pénurie des médecins, certains l’ont bien compris et tentent des solutions pour contrer le processus, ou tout au moins apporter des solutions aux réels problèmes qui vont se poser.
Nathalie Schirvel, docteur, est aussi coordinatrice des postes médicaux de garde pour le Brabant wallon. "Ce vendredi, après un gel budgétaire décidé par le cabinet De Block fin 2015, que les médecins du Brabant wallon avaient eu du mal à comprendre, le dossier des postes médicaux de garde pour le Brabant wallon devrait passer le cap à l’Inami. Il s’agit d’un vrai projet de démocratie participative puisque les médecins généralistes, représentants des 13 cercles de la province liés au projet, préparent ça depuis deux ans."
En quoi consistent exactement ces postes médicaux de garde ? "Il s’agira pour 267 médecins volontaires d’assurer les gardes dans ces trois postes pour une durée de 12 heures, les week-ends et jours fériés d’abord, les nuits de semaine un peu plus tard, quand tout sera bien en place. On doit faire face à des situations où les médecins assurent des gardes tous les 2-3 jours, ce n’est plus possible et cela risque d’empirer. Avec ces postes, le nombre de gardes va considérablement diminuer. Il faut savoir que 40 % des médecins en BW auront atteint l’âge de 65 ans et plus dans les cinq prochaines années, ce qui veut dire que l’on ne pourra plus compter sur eux pour les gardes. Avec ces postes qui vont se généraliser dans toute la Belgique, les gens ne chercheront plus les médecins de garde !"
En formant le 1733, un projet-pilote initié par le ministère de la Santé publique pour réorganiser la garde médicale, chaque patient qui appellera ce numéro sera mis en contact avec un opérateur professionnel qui sera chargé de trier les appels.
Les avantages de ce projet sont multiples : éviter la redondance de la prise en charge, éviter une perte de temps en cas d’urgence médicale, diminuer le nombre de visitesnon urgentes à domicile, etc. "Le tri 1733 permet une perspective de vraie coordination des urgences hospitalières avec les généralistes. Il sera opérationnel sur l’ensemble du territoire belge dans un avenir proche."
Les postes médicaux de garde en Brabant wallon ont pour objet social l’organisation, la coordination et la promotion de la garde de médecine générale sur leur secteur d’activités comprenant le territoire et la population couverts par les 13 cercles de la province.
La garde sera organisée au départ de trois postes qui seront situés respectivement à Braine l’Alleud, Louvain-la-Neuve et Jodoigne ! 882 km² seront ainsi couverts, représentant 321.931 habitants (1er janvier 2016).

Cinq médecins pour 8.500 habitants
La pénurie frappe l’est du Brabant wallon. Les généralistes ne sont pas confiants.
La majorité des Brabançons wallons possède son médecin traitant. Avec son docteur, une réelle relation de confiance existe, on y va pour soigner les petits bobos, pour guérir de diverses maladies, pour avoir un certificat médical en cas de grosse fatigue ou de plus en plus souvent, évoquer ses soucis, ses problèmes, sa solitude,…
Au fil des ans, le médecin apprend à connaître son patient et, très souvent, détecte immédiatement les raisons de baisses de régime, ou trouve le diagnostic d’une maladie qui les atteint.
Mais voilà, les années passent, et les médecins prennent de l’âge. Jusqu’au jour où ils prennent leur pension et force est de constater que, derrière, la relève ne suit pas !
Cette pénurie de médecins généralistes, Véronique Oestges et son époux, Philippe Cartilier, tous deux docteurs en médecine, sont en plein dedans. Installés à Orp-Jauche, ils savent ce que c’est de multiplier les visites et les consultations.
"Il ne reste que cinq médecins pour 8.500 habitants dans notre zone. Cela veut dire un médecin pour 1.700 habitants ! Quand on sait en plus que trois médecins ont respectivement 60, 65 et 67 ans, on peut s’inquiéter pour l’avenir."
Pourquoi en être arrivé là ? Philippe Cartilier a son idée. "Le fameux numerus clausus n’a pas aidé. On a poussé les étudiants vers les spécialités tout en limitant les places. De plus, la diminution des numéros Inami pousse les jeunes à choisir des spécialisations, et c’est la médecine générale qui en prend un coup."
Véronique d’ajouter : "Les jeunes médecins s’interrogent également. Et ils font vite leur choix de vie. Une élève en médecine me disait encore dernièrement : "Que dois-je faire pour ne pas avoir votre vie ?" Alors, le choix des maisons médicales s’impose à eux. Il y a des tournantes, elles ne ferment pas trop tard…"
"Mais on n’est plus dans la médecine familiale", insiste Philippe. "On est dans la déshumanisation de la profession…"
Bref, les maisons médicales seraient un incitant à ne plus assurer un service de proximité aux patients. "On perd le contact humain… Si on ne fait plus que des maisons médicales, on va perdre de cette qualité !"
"On n’a jamais fait les devoirs avec nos enfants !"
La journée type, Véronique Oestges et Philippe Cartilier l’exposent. Tout débute à 8 h pour préparer les premières consultations dès 8 h 30. Prévues jusqu’à 9 h 30, elles se prolongent systématiquement jusqu’à 11 h, voire 11 h 30… "Non seulement, ce n’est jamais possible de terminer à l’heure mais en plus, il faut gérer les nombreux appels. Une septantaine par jour. Ce n’était plus possible de travailler dans de bonnes conditions, ni pour moi, ni pour le patient, auprès de qui je dois constamment m’excuser. Alors, désormais, je fais gérer ces appels par un secrétariat spécialisé." Pour Philippe, vient alors le moment des consultations. Entre 10 et 15 chaque jour entre midi et 17 h. "Moi, je ne mange plus jamais le midi", explique Véronique. À 17 h, jusqu’à 19 h, c’est la reprise des consultations "avant de reprendre les visites si elles n’ont pu être toutes réalisées l’après-midi… Là, il est 14 h 15, il m’en reste encore 7 ! Cela veut dire que l’on soupe vers 21 h avec nos deux enfants (12 et 14 ans). Ils se sont habitués à nos horaires. En gros, on a beaucoup de travail, pas de temps pour se nourrir, pour les temps libres ou pour la famille. On n’a jamais fait les devoirs avec nos enfants ! Mais ça reste le plus beau métier du monde. On ne pourrait faire autre chose…"