Au chômage sans chômage, ils attendent leur argent de la CSC depuis des mois : "j’ai même dû demander de l'argent à mon fils"
Endettement, perte de droits, documents égarés et manège administratif : les affiliés CSC bouillonnent en attendant de percevoir enfin leurs droits au chômage. Quand toucher ses droits devient une épreuve... Reportage devant un bureau CSC à Bruxelles.
Publié le 01-02-2023 à 07h00
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Huit heures du matin ce mardi à deux pas de la porte de Ninove, 40 personnes attendent dans le froid. Leur objectif : faire partie de ceux qui auront droit d’être reçus au point info de la Confédération des Syndicats Chrétiens (CSC). Et il ne faut pas rater le coche : le bureau est ouvert uniquement deux jours par semaine en matinée.

Certains sont là depuis 5h du matin en plein vent et dans l’espoir de parler à quelqu’un : “il n’y a pas moyen par téléphone, pas moyen par mail et maintenant on attend.” Unis de fait par une même demande, ils veulent tous recevoir leur chômage, non versé depuis plusieurs mois.

Jitse, 26 ans, a juste changé d’adresse. “Depuis, plus de chômage”. Plusieurs nous l’affirment : “le moindre changement dans le dossier entraîne des conséquences catastrophiques.” La jeune femme attend son chômage depuis septembre et elle fait partie des mieux lotis de la file. En moyenne dans la file ce matin-là, le retard remonte à 7 ou 8 mois. C’est le cas Rabiatou, qui arrive un peu tard (30 minutes avant l’ouverture du bureau) puisqu’elle devait déposer ses enfants à l’école avant. “Quand j’étais en maternité, il n’y avait pas de souci, la mutuelle prenait tout. Mais depuis que je suis passée sur le chômage, je n’ai plus rien. Heureusement que mon mari travaille.”
Moustapha lui a été lâché par le syndicat depuis son accident du travail. Ancien travailleur du bâtiment, il s’estime chanceux d’avoir cinq frères à qui il peut emprunter de l’argent. “J’ai même dû demander de l'argent à mon fils qui vient d’être papa. J’ai 60 ans, vous vous rendez compte.” La majorité des personnes que nous avons interrogées ce mardi matin se sont endettées auprès de proches. D’autres essaient de survivre avec des petits jobs en noir.

”Des erreurs ont été commises”
8h30, les portes s’ouvrent. Ils sont maintenant plus de 50 devant le bureau. Spontanément, et par expérience de plusieurs jours d’attente devant ces portes vitrées opaques, les affiliés ont fait une liste et noté leur ordre d’arrivée. Le vigile prend la liste et appelle : “le 1, le 2, le 3…” Le décompte s’arrêtera à 40. Pour les autres, il ne reste qu’à espérer un désistement d’un des sélectionnés. Les 40 élus rentrent. Pas de chance pour Rabiatou… Elle était en 43e position. Elle venait transmettre un document en main propre : “et même comme ça, ils arrivent à les perdre.” Arrivée trop tard, certains affiliés s’agacent sur la porte ou la sonnette du point d’information. Rabiatou patiente, dehors, son enfant dans la poussette : “pas le choix”.

Le syndicat, noyé sous les demandes, explique ce retard par le covid. Les bureaux sont déjà restés fermés 30 mois pour que tous les agents se concentrent sur le traitement des dossiers. Mais d’autres causes peuvent aussi expliquer ce retard. Le syndicat a misé sur le tout numérique… et ça n’a pas pris. “On s’est rendu compte que tous nos affiliés ne pouvaient pas maîtriser les outils en ligne. On a commencé à prendre du retard et voilà. Nous ne pouvons que reconnaître la situation. Des erreurs ont été commises de notre côté, assume Nancy Tas, président de l’alliance CSC Bruxelles et Brabant flamand. Nous avons principalement ce problème à Bruxelles. On a un public parfois isolé, moins à l’aise avec le numérique et parfois plus éloigné du français ou du néerlandais.” Devant le bureau, certains étaient venus en famille par souci d’avoir un proche pour traduire.
La présidente reprend : “puisque les autres régions n’ont pas cette situation, on leur a transféré des dossiers pour nous soulager (environ 2.000). Nous allons ouvrir un nouveau point info à Ixelles le 7 février et un autre est prévu à Forest. Nous renforçons notre équipe qui traite les dossiers. 6 personnes sortent de formation et vont commencer à temps plein et 12 postes sont en recrutement.” Nancy Tas prévoit que le retour à la normale est “une question de semaines. Nous étudions aussi la possibilité de permanence l’après-midi pour ceux qui ne peuvent pas venir le matin.”
”Nous traitons en priorité les personnes qui subissent un mois de retard ou plus. Leurs dossiers sont remontés en priorité et ils ont une réponse parfois dans la journée même.” Pourtant, parmi les personnes présentes ce matin, nombreux sont ceux à ne pas avoir reçu de réponse aussi rapide qu’annoncé…
Et en attendant : “les loyers impayés s’enchaînent, et, par contre la lettre qui demande de payer la cotisation, la CSC ne l’oublie jamais.” Plusieurs des personnes que nous avons interviewées ont perdu confiance et prévoient de changer de syndicat : “la démarche prendra du temps, mais au moins, on pourra parler à quelqu’un”, explique un affilié résigné.
Des droits perdus
La CSC explique aussi en négocier avec l’Onem. En effet, entre la demande de droit et l’envoie du dossier à l’Onem, il faut respecter un délai de deux mois maximum. Avec le retard de la CSC, ces deux mois sont passés pour certains affiliés qui perdent donc des droits. “Ce n’est pas notre faute, mais c’est nous qui trinquons,” dénonce les affiliés concernés.
La CSC assure négocier en ce moment même avec l’Onem pour faire sauter ses délais. La question se pose alors de l’utilité de conserver le versement du chômage par les syndicats. “En période normale, nous défendons nos affiliés, nous nous battons pour nos droits. Dès que l’on reviendra à une situation classique, on pourra reprendre ce travail. Elle est là notre utilité”, conclut Nancy Tas.
Des travailleurs toujours en formation
La CSC s’est réorganisée depuis septembre. Au lieu de rouvrir leurs bureaux classiques, des “points info” ont vu le jour à Bruxelles-Ville, Schaerbeek, Jette et bientôt Ixelles. Le personnel qui s’y trouve n’est pas formé pour traiter totalement un dossier chômage. Il est chargé d’orienter les affiliés, de transmettre les informations aux gestionnaires de dossiers et de répondre aux questions de base. “Ce personnel est toujours en formation. Ce n’est pas facile tous les jours de se retrouver face aux affiliés qui s’impatientent à juste titre”, nous explique un permanent syndical. Pour ceux derrière le téléphone aussi ce n’est pas simple puisqu’ils se prennent l’agressivité, qui se comprend, des affiliés.” Notre intervenant reste toutefois optimiste : “le changement de direction d’octobre nous offre de meilleures conditions de dialogue et les choses vont être mises en place au fur et à mesure pour le personnel.”