“Aucun respect pour les morts” : une enquête au cimetière d’Anderlecht
Accusation de copinage, de cercueil cassé et de négligence. Ça chauffe au cimetière d’Anderlecht. “C’est une prise d’otage du service,” selon l’échevine Fabienne Miroir
Publié le 16-03-2023 à 06h45
Stefano est un habitué du cimetière d’Anderlecht. Il va presque quotidiennement pour se recueillir et il est très attentif à l’entretien des 18,5 hectares du site inauguré dans les années '50.
Mais depuis quelques mois, l’Anderlechtois ne trouve plus l’apaisement lorsqu’il arpente les allées du Vogelenzang. Des vidéos lui sont parvenues, parfois datées de plus d’un an : l’une qui montre un corps enterré dont la tête est à l’air libre et le cercueil ouvert rempli de boue ; l’autre où l’on voit des cercueils entreposés plusieurs mois dans des caveaux temporaires. Il apprend aussi que, suite à un effondrement, certains cercueils sont restés des semaines dans l’eau ou ont dû être replacés à l’envers (la tête au niveau des pieds). Selon Stefano, tous ses maux viennent du nouveau conservateur adjoint, M.K., engagé à l’été 2021 : “il n’a aucune connaissance des cimetières, aucun respect pour les morts. Il a roulé sur des cercueils avec sa minipelle. Il a des avantages financiers qu’il ne devrait pas avoir et, surtout, il est protégé par son ami (et supérieur NdlR.) , le chef du service Démographie. Il faut que les Anderlechtois apprennent ce qui se passe. Dans ce cimetière, on n’est pas enterré en toute dignité.”
En parallèle, le conseiller communal Gilles Verstraeten (N-VA) a tenté à plusieurs reprises d’avoir des éclairages du collège échevinal sur cette question, notamment pas le billet de questions en conseil communal. “Je n’ai jamais eu de réponse satisfaisante. On me dit que tout va bien mais, visiblement, ce n’est pas le cas. Je voulais que ce soit discuté en conseil, publiquement, mais on m’a répondu par écrit.”
Après avoir consulté les vidéos/photos que nous avons choisi de ne pas diffuser par respect pour les familles concernées, nous nous sommes procuré des documents internes à la commune : échanges de mails, PV d’entretiens avec des agents, etc. On y constate que le directeur du service démographie connaissait M.K. avant sa prise de poste. C’est même lui qui lui a conseillé de postuler à Anderlecht. Lors d’échanges de mails, le directeur met également beaucoup d’énergie pour convaincre la commune de proposer à M.K. un salaire supérieur à celui qu’il aurait eu en partant dans une autre commune qui cherchait à le démarcher.
Les pratiques de l’adjoint sont aussi pointées du doigt dans un PV d’entretien. On peut y lire les propos d’un agent : “Il (M.K.) roule avec une pelleteuse sur les tombes. Quand on lui fait une remarque il dit : quoi ? les morts ils crient ? Ils vont dire quelque chose ?'“On peut aussi y lire que l’agent assure avoir reçu permis pour une grande pelleteuse alors qu’il n’a pas reçu les cours pratique pour ce véhicule. Il évoque aussi les corps restés dans l’eau pendant plusieurs semaines.
”On ne demande que ça de pouvoir s’expliquer”
Avec tous ses éléments, nous avons contacté la commune qui a organisé une rencontre avec l’échevine en charge des questions d’état civil, Fabienne Miroir (PS), la conservatrice du cimetière et le directeur du service Démographie. Ce dernier ne nie pas connaître M.K. Il confirme lui avoir parlé de l’offre d’emploi. “Nous cherchions un adjoint depuis plusieurs années. Notre conservatrice est une excellente administrative mais n’a pas trop l’aspect technique du métier. Il nous fallait un chef d’équipe pour cet aspect. Il a travaillé aux espaces verts à Liège avant. Il est venu faire des travaux chez moi et on a discuté. Il nous fallait un technicien. Je venais d’en rencontrer un. J’aurais été un mauvais directeur si je ne lui avais pas proposé de postuler. Pour ses connaissances plus réglementaires du métier, cela peut s’apprendre ensuite.”
Le directeur ne cache pas non plus avoir voulu rendre le poste “attractif”. “Oui j’ai fait du lobbying pour M.K. parce que Monsieur est un expert. L’embauche et le salaire de M.K. ont été validés par un jury dont certes, je fais partie, mais je n’y suis pas seul. Puis par le collège puis par la tutelle régionale. M.K. n’est pas un ami, je n’ai pas d’amis ici. Je travaille pour mon service. Je ne protège personne.”
Concernant les corps laissés dans l’eau plusieurs semaines. La commune évoque des circonstances exceptionnelles : “les pluies de fin 2021 sur un terrain marécageux couplé à une panne de la pompe à eau.” “On n’avait jamais eu un trou comme ça, explique la conservatrice. Aujourd’hui les techniques ont été revues notamment au moment de creuser pour éviter que cela se reproduise. Mais on n’a pas de recul.”
Pour le corps visible à l’air libre et recouvert de boue, la conservatrice ne souscrit pas à la thèse de la faute humaine et explique qu’il s’agit d’un regrettable problème qui peut malheureusement avoir lieu dans chaque cimetière. “Des cercueils de mauvaises qualités pleuvent simplement casser sous le poids de la terre rendu lourde par les pluies.” Le cimetière creuse des tranchés où l’on place les cercueils au fur et à mesure. Mais il y a un laps de temps entre le moment ou le premier cercueil de la tranchée est placé, recouvert de plusieurs centimètres de terre et le placement du dernier de la tranchée qui permet de refermer complètement le trou. Dans le laps de temps, la tranchée n’est fermée que part des gîtes qui laissent donc l’eau passer ce qui alourdit donc la couche de terre.
La commune ne dément pas les cercueils laissés dans des caveaux temporaires. La DH en parlait d’ailleurs déjà en mars dernier. “On venait de recevoir un rapport très alarmant du service interne pour la Prévention et la protection au travail. On attendait du matériel de sécurité pour descendre dans les caveaux. Les familles avaient été prévenues.” Concernant le permis pelleteuse, la commune s’en remet au prestataire externe qui avait été sélectionné pour la formation.
Fabienne Miroir dénonce “une prise en otage des services” orchestré par Stefano et accompagnée pour deux agents, en conflit avec le nouvel adjoint. “Le changement, ça ne plaît pas forcément. Il y a eu beaucoup de mécanisations de tâches par exemple. Mais pour prendre des photos de corps et les diffuser, il ne faut vraiment avoir aucun respect pour les morts. L’ambiance dans l’équipe est très mauvaise à cause de ce genre de rumeurs.”
Stefano, pour sa part, demande le départ de M.K. et assure vouloir aller plus loin dans ses démarches si cela n’arrive pas. “Je ne lâcherais pas.” Il compte contacter les familles dont les sépultures des défunts ont été concernées par les différents incidents.
Le secrétariat communal interroge en ce moment les agents pour que toute la lumière soit faite. La conservatrice l’assure, “s’il y a eu des manquements ou des fautes, il y a aura évidemment des sanctions.”