Frigolite, laine de roche, etc. : “à Bruxelles, il y a une grosse réflexion à avoir sur les isolants pétrochimiques”
La région bruxelloise vise la neutralité carbone pour 2050. La jeune et prometteuse société spécialisée en matériaux biosourcés NaturaMater déplore la subsidiation des polyuréthanes (frigolite, etc.), source principale des matériaux utilisés dans l’isolation des bâtiments.
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Publié le 17-03-2023 à 07h30
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En juin dernier, le ministre bruxellois en charge de l’Environnement Alain Maron (Ecolo) présentait sa feuille de route pour que Bruxelles atteigne en “neutralité carbone” d’ici 2050. Autre échéance de premier ordre : la réduction de 47 % de l’émission des gaz à effet de serre. Ce Plan air-climat-énergie (Pace) se veut transversal. Il concerne l’économie, l’aménagement du territoire, la mobilité (Smartmove/Goodmove), le logement, l’alimentation, le numérique, la gestion des déchets, etc. De toutes ces matières, c’est le bâtiment qui pollue le plus. À lui seul, le bâti bruxellois représente 56 % des émissions de gaz à effet de serre et 73 % de la consommation énergétique.
360 millions de primes et incitants depuis 2017
C’est sur ce levier – avec la mobilité – que Bruxelles travaille principalement pour atteindre ses objectifs climatiques. Pour ce faire, le gouvernement bruxellois dégage des moyens financiers conséquents (360 millions d’euros entre 2017 et 2024) met en place une série d’incitants financiers et de mesures d’accompagnements, interdit les chaudières au gaz et le mazout dès 2025. Beaucoup d’incitants, des objectifs clairs et des outils pratiques (Renolution, Renoclick, Homegrade, etc.) sont donc mis en place.
La tenue du salon de la construction Batibouw à Bruxelles cette semaine offre l’opportunité de faire le point sur la question des matériaux utilisés pour l’isolation du bâti. En termes de pollution atmosphérique, on considère qu’un mètre carré construit dégage une tonne de CO2, soit l’équivalent de 8 000 kilomètres parcourus en avion. Vient ensuite le matériau, qui compte pour la près de la moitié de l’empreinte environnementale d’une construction. On parle ici le plus souvent du béton ou des isolants pétrochimiques (laine de roche, frigolite, etc. : du polyuréthane sous différentes formes). Ainsi, une façade de 100 mètres carrés isolée avec des blocs de frigolite de 14 centimètres d’épaisseur remplira, lorsque la façade sera démantelée, un conteneur de 14 m³.

Le Pace n’évoque pourtant que très peu le choix du matériau. Certes, la prime bruxelloise est 10 % plus élevée si l’on utilise un matériau biosourcé. Mais même Alain Maron reconnaît que la différence entre les deux primes est trop faible. Il prévoit de l’augmenter, dans un prochain temps. “Ces matériaux sont pourtant extrêmement polluants et très peu voire pas du tout recyclables”, note Jérémy Boomer, cofondateur de NaturaMater, jeune société bruxelloise spécialisée dans les matériaux de construction durables et biosourcés. “La frigolite, c’est du pétrole. Et pas le pétrole le plus raffiné, mais le fond de cuve qui a brûlé pendant des heures. C’est un pur déchet toxique non recyclable. Il faut arrêter de subsidier la frigolite, les polyuréthanes”.

Jérémy Boomer voit trois gros problèmes avec les matériaux conventionnels.
1. La transformation du matériau. “On parle de laine de roche ou laine de verre. Il ne s’agit pas d’un rocher qu’on a tondu juste avant l’été. Cela ressemble plus au procédé de la barbe à papa avec un four qui cuit les cailloux à 1500°C. Le processus est extrêmement polluant.”
2. La mise en œuvre du matériau. “Le béton demande 150 litres d’eau potable pour chaque mètre cube. Les fondations d’un petit immeuble à appartements consomment plus de 15.000 litres d’eau.”
3. La fin de vie du matériau. “Un produit comme la frigolite se vend en quantité astronomique. On démolit aujourd’hui les premiers immeubles isolés à la frigolite. Or, ce matériau n’est pas recyclable. La région bruxelloise devra donc envoyer ce matériau, par millions de mètres cubes, vers des pays tiers, qui l’enfouiront. Peut-être pas aujourd’hui certes, mais dans 10, 20, trente ans.”
"Personne n’a envie d’avoir de la frigolite sur toutes les façades bruxelloises."
Or, via ses primes et face à l’absence d’alternative ou d’intérêt dans le chef des architectes et constructeurs, la région bruxelloise incite malgré elle les Bruxellois et les pouvoirs publics à utiliser massivement le polyuréthane ou la laine de roche pour isoler leurs immeubles, maisons et appartements.
La directrice de Renolution Isabelle Sobotka confirme l’absence de solution à court terme. “Personne n’a envie d’avoir de la frigolite sur toutes les façades bruxelloises.” Pourtant, “il faut rester réaliste, il y en aura, c’est certain”. Et beaucoup puisque l’usage de matériaux alternatifs ne semble pas encore avoir conquis architectes, promoteurs et constructeurs. “Il y a en effet une grosse réflexion à avoir sur l’isolant”, poursuit-elle. “Mais l’important est d’avoir une vision globale. Si l’on parvient à diminuer 80 % de l’empreinte environnementale d’un bâtiment et que les 20 % derniers, c’est du polyuréthane, ce n’est pas mon idéal mais c’est déjà ça. En tous les cas, la façon dont il est utilisé (collé à même la façade, NDLR) doit cesser rapidement afin d’envisager un réemploi.”
”Seulement 2 % de l’herbe est valorisée”
Le réemploi du matériau constitue d’ailleurs un gros point d’attention lors d’une rénovation. “Il faut pousser à la circularité. Le premier objectif consiste à maintenir l’élément de construction en place. Cela ne génère aucune pollution. Vient ensuite le réemploi”, égrène encore Isabelle Sobotka : “je démonte, j’adapte, je réutilise, idéalement le plus près possible. Ensuite, vient la fabrication de nouveaux éléments à partir d’anciens. Enfin, le recyclage, dernier maillon et celui de moindre intérêt de la chaîne circulaire. Le secteur de la construction recycle beaucoup mais il reste très impactant sur le plan environnemental.” À titre d’exemple, les promoteurs de la tour Zin (Quartier nord) n’ont utilisé que 10 % du béton de l’ancienne tour. Récemment, 600 entreprises bruxelloises ont rejoint l’alliance économie circulaire, créée voici un an. “Ça démarre, il reste beaucoup à faire”.
Jusqu’à interdire ces types de matériaux extrêmement polluants ? Ce n’est pas pour demain. Ni Isabelle Sobotka, ni le cabinet du ministre Alain Maron n’osent avancer une quelconque date. Ce dernier confirme le manque de maturité du marché, ce que conteste pourtant Jérémy Boomer. “Les solutions alternatives existent et sont capables de répondre aux demandes du marché. Les fibres végétales comme l’herbe ou la paille constituent une ressource au bilan carbone favorable et sans limite : seulement 2 % de l’herbe est valorisée aujourd’hui. Cette filière a la capacité de monter en production. Plus nous posons de fibres végétales pour isoler nos bâtiments, plus nous stockons du CO2. Ces matériaux assainissent l’air des logements, luttent efficacement contre la chaleur et offrent un complément de revenu pour nos agriculteurs. La laine de mouton, la terre crue, le liège, etc. Il existe un vaste choix de matériaux qui ont fait leurs preuves depuis des millénaires. Une fois que vous prenez la décision d’avoir de l’impact avec le choix des matériaux que vous demandez à votre architecte, vous découvrez un vaste catalogue de possibilités et des producteurs engagés dans la recherche de solutions au dérèglement climatique.”
"La terre crue remplace à elle seule le plafonnage, l’enduisage, le ponçage et la peinture"
Sans surcoût ? “Non”, rétorque Jérémy Boomer. “Prenons l’exemple de la terre crue qui remplace à elle seule le plafonnage, l’enduisage, le ponçage et la peinture. Vous avez un matériau millénaire qui régule l’humidité, qui est utilisé dans le traitement des maladies respiratoires et que vous trouvez partout sous vos pieds. La construction coûte cher parce qu’elle règle les problèmes en ajoutant toujours plus d’accessoires. Aujourd’hui comme les murs étouffent avec l’isolation pétrochimique, il faut ajouter des films plastiques, du papier collant, des groupes de ventilation, de l’air conditionné, toute une série de nouveaux gadgets qui rendent les bâtiments moins résilients. La construction durable s’accompagne d’une philosophie focalisée sur l’essentiel où les caractéristiques de la matière règlent les problèmes : vous ne verrez pas de condensation sur un mur en terre.”
Y a plus qu’à…