Abdel, travailleur et père de famille, ne trouve pas de logement à Molenbeek : “1150€ pour un appartement une chambre pourri, c’est impossible”
Abdel attend un logement social depuis 13 ans. Le Molenbeekois est dans l’urgence : il est sous la menace de perdre le petit appartement qu’il loue 600€. “Un cas emblématique” de la crise du logement bruxellois, selon le travailleur social qui le suit. Pour Abdel et toutes ces familles mal logées, les activistes de l’habitat manifestent ce dimanche 26 mars 2023 lors du Housing Action Day.
Publié le 24-03-2023 à 16h33
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”Mon préavis s’arrête le 31 mars. Mais je vais pas sortir de l’appartement. Sauf si la police m’y oblige”.
Cernes sous les yeux, barbe de trois jours, Abdel Fattouche (*) est fatigué. Très fatigué. Le Molenbeekois, 53 ans, cherche un logement depuis près de 6 mois. Lui et sa femme ont deux filles de 5 et 3 ans et un garçon d’un an et demi. Ils vivent dans un appartement d’une seule chambre, “divisée par des rideaux”. Loyer : 600€. “Mais le propriétaire, il le veut pour sa fille”. Le préavis locatif est la première cause de perte de logement dans le vieux centre de Molenbeek.
La nouvelle met la famille dans l’incertitude totale. C’est que le salaire d’Abdel comme homme à tout faire dans une école s’élève à quelque 1700€ nets. Sa femme n’a aucun revenu. Berbère, elle ne parle ni le français, ni l’arabe. Le couple compte aussi sur quelque 800€ d’allocations. “Mais un 2 chambres, c’est 1.000€, et 3 chambres entre 1200 et 1500 €”. S’il doit débourser cette somme, Abdel ne pourra plus faire plaisir à ses enfants : “un petit paquet de fraises, c’est 3,50€”. On ne parle même plus de voyager. En détresse, Abdel, comme des centaines d’autres Bruxellois et Bruxelloises, manifestera ce 26 mars lors du Housing Action Day (lire ci-dessous).


Quand la recherche de logement aboutit, c'est toujours avec une baisse énorme du niveau de vie. Des loyers qui passent simple au double.
Comme 150 autres familles, Abdel a demandé l’aide de la Maison de quartier Bonnevie, en plein cœur de Molenbeek. “Le cas de Monsieur est vraiment emblématique”, pose Joaquim Da Fonseca. Le travailleur social, spécialisé dans l’habitat, suit 7 à 8 familles en recherche de logement. Et une quarantaine depuis 2021.” La plupart ont des revenus du travail !” 53% exactement, selon les statistiques de la Maison Bonnevie. “Ce qui casse les clichés sur les chômeurs de Molenbeek”. 14 % “seulement” des bénéficiaires de l’ASBL en dépendent. 5 % sont pensionnés, 22 % reçoivent le RIS et 6 % émargent à l’INAMI. “Mais quand y a pas de logement… Le marché locatif privé est inaccessible. Et je ne parle pas des marchands de sommeil. Avec les revenus de Monsieur Fattouche, dans les grandes villes belges, c’est très compliqué”. Alors 8 % des personnes suivies abandonnent et 6 % sont expulsés sans logement. “La justice de paix de Molenbeek voit le nombre de dossiers augmenter”. Heureusement, 50 % des recherches aboutissent. “Mais toujours avec une baisse énorme du niveau de vie. Des loyers qui passent simple au double. Même en Flandre, à une ou deux heures de train. Alors oui, à Farcienne, c’est moins cher. À Petit-Dour aussi. Certains tentent”. Mais la vie et le métier d’Abdel sont à Molenbeek. Comme 58 % des autres locataires en détresse, il veut rester dans le quartier.
Peur des enfants
Le papa n’est pas résigné. Depuis 6 mois, il multiplie les visites. “J’ai vu une petite maison de deux chambres à Anderlecht. Mais le propriétaire avait peur que les enfants fassent du bruit”. Joaquim Da Fonseca opine : “Les pauvres ne peuvent pas avoir d’enfants. Certains bailleurs prétextent n’importe quoi. Ils craignent qu’on dégrade leur bien, alors ils disent que les escaliers sont dangereux”. Or, 25 % de ses bénéficiaires ont 1 enfant, et 53 % de 2 à 4 enfants. 5 % du public de la Maison Bonnevie vit donc en surpopulation.

On m'a proposé des maisons d'accueil, mais juste pour les enfants et ma femme. Avec le bébé, ils ont besoin de moi. Je ne veux pas qu'on soit séparés.
Évidemment, le Molenbeekois est sur la liste d’attente d’un logement social. “J’attends depuis 13 ans. J’ai 23 points de priorité”. Le travailleur social l’assure : “23 points, c’est vraiment beaucoup. Mais 50.000 familles sont en attente à Bruxelles”. Même la commune, même le cabinet de la Bourgmestre, n’a encore rien pu faire pour Abdel Fattouche. Qui tremble : “On m’a proposé des maisons d’accueil, mais juste pour les enfants et ma femme. Avec le bébé, elle ne pourrait pas y vivre sans parler français. Ils ont besoin de moi. Je ne veux pas qu’on soit séparés”.
Magouilleurs
Abdel croise les mains. Le regard est droit. “Je serais prêt à donner un petit quelque chose, 100 ou 200€, si on me présente un propriétaire”. La pratique est malheureusement courante dans le quartier Bonnevie. “Les magouilleurs profitent de la détresse”, déplore Joaquim Da Fonseca. Et on ne parle pas ici des habitudes pourtant illégales d’exiger les fiches de salaires. “Des bailleurs proposent un appartement 1 chambre à 1150 € à Ribaucourt à la condition de le rénover avant. Une seule chambre pourrie, à 1150 € ! Certains candidats locataires travaillent à meubler les biens, livrent des frigos. Des entremetteurs prétendent connaître plein de propriétaires et demandent plusieurs centaines d’euros pour les contacts”. Dans cette jungle, 17 % du public de l’adresse à la porte orange vit dans l’insalubrité.

”C’est pour tout ça qu’on va manifester dimanche”, tonne Joaquim Da Fonseca. Le travailleur social insiste : “Il n’y a aucun cadre à Bruxelles”. Si une grille indicative des loyers a été introduite au 1er janvier 2018, elle n’est absolument pas contraignante. En 2021, une ordonnance a instauré une Commission Paritaire Locative chargée de statuer sur des présomptions de loyers abusifs. Mais son avis n’est pas contraignant. “À l’hôpital, on ne demande pas les fiches de paye. À l’entrée des écoles non plus. Le logement aussi est un droit vital. Les appartements à Bruxelles ne devraient pas pouvoir se vendre comme des voiliers de luxe. C’est devenu comme à Paris où même les revenus moyens ne peuvent plus acheter. Bien sûr, les gros promoteurs créent cette crise du logement. Nous, on n’en veut pas aux loups d’être des loups. Mais aux gouvernements qui n’encadrent pas. On exige une baisse des loyers. On veut des loyers minimaux garantis”.
(*) Nom et prénom ont été modifiés
Les appartements à Bruxelles ne devraient pas pouvoir se vendre comme des voiliers de luxe. C'est devenu comme à Paris.
4 revendications pour le Housing Action Day européen : “Baisse immédiate et encadrement des loyers”

Le Housing Action Day, grande journée de mobilisation dédiée au logement, se tient ce dimanche 26 mars 2023 partout en Europe. Le Rassemblement Bruxellois pour le Droit à l’Habitat (RBDH), coupole qui regroupe plus de 60 associations, en est l’un des relais à Bruxelles. “86 villes européennes ont répondu à l’appel”, assure l’asbl. Il s’agit de la 4e édition.
Une manifestation est prévue dès 15h à Bruxelles. Elle partira de la station Comte de Flandre à Molenbeek pour arriver à 17h place du Jeu de Balle. Deux lieux emblématiques de la crise du logement qui sévit dans la capitale en 2023 puisque ces quartiers dits “populaires” subissent la gentrification du canal d’une part et des Marolles de l’autre. Dans la même idée, le cortège transitera via les quartiers du Jardin au Fleurs, Anneessens et Stalingrad. D’autres marches se tiennent à Liège (11h derrière l’Hôtel de Ville) et Charleroi (14h place Verte) et le RBDH attend aussi des militants venus d’Anvers.
“Des pratiques illégales et discriminantes de la part des propriétaires”
”Nous sommes de plus en plus à faire face à des loyers excessifs et à des charges exorbitantes, à des logements insalubres, à des pratiques illégales et discriminantes de la part des propriétaires, à une justice de paix inaccessible et une administration parfois incompréhensible”, énumère le RBDH. “Nous avons de plus en plus de difficultés à trouver un logement et avoir la sécurité de pouvoir y rester. Il ne s’agit pas d’un problème individuel : la crise du logement nous concerne toutes et tous”.
Les manifestants crieront donc 4 revendications. 1. Une baisse immédiate et un encadrement des loyers. 2. La fin des expulsions et un logement pour toutes les personnes sans-abri. “Des logements dignes, salubres, abordables et adaptés aux besoins des familles et des individus”. 3. La production “massive” de logements sociaux et la rénovation du parc social “vétuste”. “Nous voulons plus de terrains et de bâtiments publics. Nous appelons au développement de coopératives de locataires, et à la gestion collective de nos immeubles. Le logement est trop important pour être laissé aux mains du marché”, plaident les associations. Et enfin 4. La régularisation des personnes sans-papiers.
