80 ans après, Albert raconte le bombardement de l’avenue de la Couronne : “le vacarme des explosions a duré 20 secondes”

Du bruit des bombes, au thé anglais de la libération, Albert Guyaux vous raconte le bombardement de l’avenue de la couronne à Ixelles en 1943.

Maël Duchemin
rue henri marechal , albert guyaux , survivant , bombardement , guerre , avenue de la couronne , mondial
©cameriere ennio

Il y a 80 ans, une escadrille de l’armée américaine se trompait de cible. En mission pour bombarder la plaine d’aviation et les ateliers de réparation d’avions d’Evere, une douzaine d’avions ciblent la gare d’Etterbeek. À 7000 mètres d’altitudes, les deux sites se ressemblent : une grande avenue, des voies de chemin de fer et une plaine de manœuvre. En plus de se tromper de cible, les aviateurs manquent la gare d’Etterbeek (qui sera légèrement touchée). 130 bombes sont larguées et atterrissent sur un quartier résidentiel au sud de l’avenue de la Couronne.

Ce 7 septembre 1943 sera le bombardement de Bruxelles le plus meurtrier. 342 civils seront tués. Les casernes avaient aussi été touchées. Difficile de chiffrer les pertes chez les soldats allemands et aussi ceux décédés dans leurs cellules. À Evere la cible originelle est aussi touchée par les autres une escadrille. Albert Guyaux était sous les bombes à Ixelles ce jour-là.

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©cameriere ennio

”Les allers allaient bombarder les usines de roulement à billes en Allemagne. Ils passaient souvent au-dessus de Bruxelles. On les voyait, c’était un peu un spectacle pour les enfants. On sortait pour les voir et on se disait “bien fait pour les Allemands. Il fallait faire attention parfois les arme anti aérienne tirait dessus et on avait des éclats brûlants qui retombait au sol. Mais le 17 août 43, de retour d’une de ses missions, les “wings” (escadres américaines) sont prises pour cibles. L’aviation des alliers perdra 100 forteresses volantes de 10 hommes sans compter celle qui rentre en épave. En moins de 2 heures 1000 soldats ont péri.” Un gros revers pour l’aviation américaine qui change alors de tactique et commence à bombarder les bases sur le trajet entre l’Angleterre à l’Allemagne. C’est dans ce cadre que l’opération vers Evere a été menée. Les avions qui ont décollé d’Angleterre. Une escadrille (entre 12 et 16 avions) s’est perdue, et une autre s’est trompée de cible et touché Ixelles le 7 septembre.

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Albert avait alors 8 ans. Il étudiait à l’école Saint-Philippe Neri de la chaussée de Boondael. À 9 h 51, il était en cours. Son enseignant regarde par la fenêtre et voit une “nuée de point gris” tombée du ciel. “Il nous crie : mettez-vous à l’abri sous vos bureaux. Le vacarme des explosions a duré 20 secondes.” La terre a tremblé ce jour-là. Pour preuve, le sismographe de l’observatoire d’Uccle s’est réveillé. Fenêtres et portes de l’école sont soufflées. les maisons en face de la cour de récréation ont été propulsées sur le terrain de jeux. “Tout était effondré. Notre enseignant a récupéré un élève qui avait la carotide sectionnée pour courir l’amener à l’hôpital. Les routes n’étaient pas accessibles pour les secours.” Le jeune garçon décédera sur le trajet de l’hôpital. “On n’a pas compris tout de suite ce qui se passait, on avait l’inconscience de la jeunesse. Ma mère est venue me rechercher. Par chance personne de ma famille n’était blessé. Mais ce n’était pas le cas pour tout le monde. Certains parents ne sont jamais venus chercher leurs enfants. Et dans une autre école, une enseignante a dû rester garder les enfants après le bombardement alors que ses propres parents étaient décédés dans le bombardement.”

La peur et l’espoir

Dans les jours qui suivirent, Albert ne réalisait toujours pas. “Fier de mon uniforme de louveteau, j’ai, avec mes camardes, transporté les cercueils pendant plusieurs jours pour les apporter là où se trouvaient les corps. Les passages de l’aviation des alliers n’avaient plus le même effet après cela. Dès qu’on les entendait, on avait peur. Les sirènes étaient quasi quotidiennes. Tout le monde avait sa valise avec tous les nécessaires pour partir vite dans les caves. Il y avait aussi une forme d’irrationalité. On se cachait chez un marchand de vin qui avait une cave. Mais il n’y avait aucune construction au-dessus. Si une bombe tombait on y passait tous. Mais on devait être ensemble dans ses moments je crois.” Mais on n’en a pas voulu aux Américains, on savait ce qu’il faisait. À cette peur se couplait une émotion contradictoire. “L’espoir, l’espoir de voir la libération venir.” Et elle arrivera, de la main des Britanniques, le 3 septembre 44, presque un an jour pour jour après le bombardement.

Le thé anglais

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”Ça a commencé par trois chars un soir, qui se sont arrêtés au croisement Général Jacques/Couronne. Beaucoup d’Allemands étaient partis. Il savait laisser quelques snipers. Puis le lendemain, la pleine de manœuvre était noir de monde. C’était l’euphorie. On avait nos petites pelles pour aider les Anglais à installer leurs canons braqués sur Wavre. Les Allemands étaient toujours de l’autre côté de la forêt. On ne se comprenait pas on essayait de comprendre quelques mots d’anglais. Toutes les familles accueillaient des Anglais et nous, on n’en avait pas au début. J’en ai trouvé deux dans la rue. Je leur ai dit : “You come my home” et je les ai ramenés à ma mère. Ted et Bob. On les a logés et ils sont vite devenus des amis de la famille. On a gardé contact avec eux après guerre. Je les suivais dans leur tente à la caserne. J’étais tout le temps sur les chars, avec leurs armes. C’est là que j’ai goûté le thé anglais.”

Aucune trace du bombardement

”Très vite après guerre il y a eu l’euphorie puis la guerre froide on avait peur de l’arme atomique. l’histoire s’est vite oubliée.” Albert s’est tardivement rendu compte que le souvenir du bombardement d’Ixelles se perdait. “En 1993, j’ai remarqué que chez mes voisins on ne connaissait pas cet épisode (Albert a brièvement démangé avec sa femme avant de revenir sur le terrain où il est né, rue Henri Marchal, sa maison garde d’ailleurs toujours une marque du bombardement.) J’ai alors fait des recherches, contacté le musée de L’US Air Force. Il n’y avait aucune trace du bombardement. L’escadrille qui s’est trompée n’a peut-être jamais su son erreur.” En 10 ans de collecte d’information Albert a finalement sorti, en 2003, un ouvrage : Le Bombardement d’Ixelles et d’Evere le 7 septembre 1943.

Ici, nous ne vous avons pas tout raconté. Le rationnement, la vie sous l’occupation, l’histoire de son père duquel Albert n’a pas eu de nouvelle pendant 10 mois et qui fut prisonnier à Nuremberg et forcé de travailler dans les usines Siemens avant de revenir en Belgique pour cause de maladie.

Mais laissons Albert, lui-même, vous raconter tout cela. Le 12 octobre prochain, il donnera une conférence organisée par la commune d’Ixelles pour les 80 ans du bombardement.

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