Crise sanitaire et crise sociale: pour l'asbl AJMO (accueil des jeunes en milieu ouvert) il ne faut surtout pas diminuer l'aide aux jeunes et aux familles
Le travail de terrain de Gauthier Destrée et de son équipe démontre l'importance d'un accompagnement social de proximité.
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Publié le 05-11-2020 à 15h11 - Mis à jour le 06-11-2020 à 15h41
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La nouvelle vague de la pandémie de la covid-19 et les différentes mesures destinées à la combattre mettent à mal le moral des gens. Si bon nombre de secteurs économiques sont à l'arrêt, les acteurs sociaux doivent affronter une situation jamais encore vécue à laquelle ils ont dû s'adapter pour assurer leurs missions auprès des jeunes et des familles notamment.
A L'Absl AJMO (aide à la jeunesse et aux familles) de Charleroi, on est en première ligne pour constater à quel point certains ont besoin d'aide dans un contexte sanitaire particulier.
Nous avons rencontré Gauthier Destrée, le directeur de l'AJMO de Charleroi, afin de saisir concrètement sa réalité de terrain.
Quelle est votre réalité actuellement?
"Pour nous, la deuxième vague est plus complexe à gérer sur le plan psychique car on mesure, parfois avec effroi, que nous n'avons pas la maîtrise de tout. Nous ne savons pas nous projeter sur la fin de la propagation du virus qui semble de plus en plus gagner nos cercles respectifs. Le moral est en baisse et les cas de covid sont présents dans nos équipes et dans notre public. On sent un épuisement général, nous sommes submergés par une communication qui vient de toute part et dans tous les sens. Je pense que des services comme les nôtres doivent continuer à tourner. J'entends que la covid cause beaucoup de tords mais la situation était déjà préoccupante avant à Charleroi. Tout n'est pas dû à la pandémie. Avec les restrictions qui augmentent et les partenaires qui sont contraints parfois d'annuler, nous ne pouvons pas assurer notre offre de services en totalité. L'équipe doit aussi composer avec des messages contradictoires. Par exemple, nous devons réfléchir à diminuer le nombre de jeunes à transporter dans nos véhicules de services en comparaison à des compagnies aériennes qui peuvent entasser 200 personnes dans un avion. On peut se poser des questions sur la reconnaissance de notre travail. Notre capacité à appréhender les difficultés de notre public est impactée. Notre force est pourtant de savoir transformer les difficultés en opportunités, en changements positifs. Quand le travailleur est face à des incertitudes, son travail peut en être affecté et doit puiser au plus profond de ses ressources".
Quelles sont les difficultés des jeunes et des familles?
"De notre point de vue de l'AJMO de Charleroi, nous constatons qu'être confinés sans argent c'est être doublement victime. On constate aussi que la rupture du lien social est plus que perturbant pour les jeunes qui se retrouvent isolés dans le milieu familial. Ils ne peuvent plus non plus participer à des activités sportives ou culturelles qui permettent d'ordinaire une socialisation. Nous observons aussi des changements dans le bio rythme des jeunes, une augmentation du temps passé sur les écrans avec des conséquences sur la santé. Notre constat se fait également au niveau de la dégradation des liens familiaux. Certains enfants n'ont plus eu de contacts physiques avec leurs parents ou au contraire ont eu un contact omniprésent. L'équipe sent aussi une augmentation des situations anxiogènes face aux différents discours. Ceci donne lieu à des interprétations et des sur-interprétations. Les familles les plus vulnérables appliquent à la lettre ce qui est demandé sans vraiment comprendre. Nous devons parfois jouer les "coaches" pour transmettre le message de manière intelligible et continué à être des repères. Pour entretenir les liens, les familles utilisent les moyens modernes de communication. Malgré cela nous constatons que les moyens matériels ne sont pas toujours adaptés. Par exemple, dans certaines familles il n'y a qu'un seul ordinateur ce qui peut poser des problèmes d'intimité. Le budget des plus vulnérables est aussi touché car l'emploi des appareils en fonction des abonnements souscrits peut entraîner une situation d'endettement par rapport aux sociétés de télécommunication. Les risques d'augmentation de maltraitance sont bien réels de même que les risques d'augmentation de violences conjugales. La limitation des contacts sociaux peuvent être potentiellement source d'augmentation d'agressivité et de tension pour toute la famille avec risques de passages à l'acte."
Comment vous êtes-vous adaptés pour affronter cette deuxième vague?
"Nous devons participer à l'effort collectif en respectant les recommandations sanitaires tout en maintenant la continuité du service. En tant que directeur je suis partagé entre ma responsabilité face à la crise et ma responsabilité face aux jeunes et aux familles. Concrètement, nous assurons nos services en maintenant les permanences physiques sans rendez-vous. Même s'il est préconisé de prendre rendez-vous, nous devons répondre présent à quelqu'un qui est en situation d'urgence. Nous avons aussi nos entretiens en présentiel avec les familles tout en leur laissant le choix de fonctionner par téléphone ou par réseaux sociaux. Nous avons remarqué des annulations de rendez-vous physiques au profit des moyens de communication alternatifs. Les relations entre les équipes et le public se trouvent changées. On donne des défis, des challenges. On aborde les choses différemment. Cela donne par exemple un coup de pouce pour ce qui est de l'autonomisation des personnes. Au contraire, des parents nous envoient leurs enfants car ils ne voient plus personne. Nous nous sommes adaptés au rythme, aux besoins et aux demandes des familles. Il n'y a pas de doute que nous faisons preuve d'une grande créativité. Nous poursuivons également l'accompagnement scolaire pour éviter le décrochage."
Par rapport à la circulaire de l'Aide à la jeunesse, le directeur regrette qu'il manque des mesures appropriées aux 82 AMO de la Fédération Wallonie Bruxelles. "Nous devons chercher à l'interpréter et parfois passer par la prise de risques pour continuer à travailler. Dans l'avenir il y a la crainte, pour certaines actions de prévention, de devoir à nouveau se redéployer, se réorganiser, retisser du lien et la crainte énorme de devoir tout détricoter par la suite."