”L’horreur absolue” : l’échevin Dogru se confie sur la catastrophe suite au séisme en Turquie
Du 16 février au 3 mars, Mahmut Dogru s’est mis en congé pour se rendre en Turquie sur des lieux de catastrophe. L’échevin de la Ville de Charleroi a accepté de se confier.
Publié le 17-03-2023 à 15h23 - Mis à jour le 17-03-2023 à 15h47
Les images sont dans toutes les têtes : des sauveteurs exhumant des enfants des décombres, des immeubles éventrés sur toute leur hauteur, des alignements de sacs noirs contenant des cadavres, des tentes de fortune pour héberger les rescapés… Mais celles et ceux qui reviennent de l’enfer des zones sinistrées de Turquie et de Syrie ont des récits encore plus bouleversants à partager.
En février, dix jours après le double séisme, Mahmut Dogru s’est mis en congé de ses fonctions d’échevin à Charleroi pour se rendre sur l’un des épicentres. À partir de Kayseri en Cappadoce où son avion a atterri, il a rejoint en voiture Maras, une ville d’1,1 million d’habitants touchée au cœur par le chaos. “Je ne suis pas le seul à avoir rejoint cette destination. Plusieurs groupements de carolos sont allés prêter assistance aux victimes, notamment en provenance de Couillet, Marchienne, Aiseau-Farciennes. Des mouvements de solidarité se sont créés spontanément : même si tous ces bénévoles ne se connaissaient pas, ils ont été portés par le même instinct. Une catastrophe naturelle de cette ampleur, il n’y en a qu’une par siècle ! Vous savez, j’ai ressenti moi-même les secousses du troisième tremblement de terre après mon arrivée sur place, un séisme de magnitude de 6,4. Difficile d’imaginer ce que c’est quand on ne l’a pas vécu. D’un coup, vous sentez tout vibrer autour de vous, il y a des craquements sourds. C’est impressionnant. ”
Depuis Charleroi, des groupes ont acheminé des vivres, d’autres des vêtements et du matériel d’urgence. Grâce à un contact à Kayseri, une camionnette remplie de produits d’hygiène, de féculents, de détergents a pu démarrer pour Maras. Accompagné de deux guides, l’échevin a suivi en transportant à ses frais du charbon et du bois de chauffage pour soulager (un tant soit peu) les frimas de l’hiver.
C’est que des milliers de personnes se retrouvent dans la rue avec un braséro pour résister aux chutes de températures : “Si en journée vous avez 7 à 8 degrés, il gèle dès la tombée de la nuit ! Pendant la durée de mon séjour, j’ai logé en tente avant d’être accueilli par des habitants. On ne revient pas indemne d’un séjour comme celui-là.” L’échevin a pris des dizaines de photos, filmé des scènes dantesques. Il s’est gardé de les partager sur les réseaux sociaux. “Cela me semblait indécent.” Il nous les présente néanmoins, à notre demande insistante : à côté d’une tour de logements qui a résisté aux secousses, on aperçoit un enchevêtrement de gravats d’où émergent des traces de vie humaine : un morceau de canapé, une porte ou une armoire, un matelas, un tapis, des vêtements. On se dit qu’il y a sans doute des corps là-dessous.
Des gravats, seuls témoins du building de 11 étages qui se trouvait là
Cet enchevêtrement de gravats d’une hauteur de trois mètres, c’est ce qu’il reste du building résidentiel de onze étages qui se dressait avant. Sur les photos, on voit des maisons à moitié effondrées qui ne tiennent plus que par miracle, l’étendue de ruine aide à prendre la mesure du chaos. Dans les courtes vidéos, on entend le bruit sourd des pelleteuses qui remuent les décombres.
C’est la gorge serrée que Mahmut Dogru se confie, parce qu’on l’a pressé de le faire. Il raconte sa rencontre avec ces gens qui ont tout perdu : domicile, voitures, parents, conjoints, enfants. S’ils n’ont plus rien, ils restent étonnamment dignes, s’activent à secourir d’autres victimes dans l’espoir de sauver ce qui peut encore l’être. “J’ai vu des ingénieurs inspecter les débris de coffrages à la recherche d’indices de malfaçons, pour pouvoir poursuivre les entrepreneurs défaillants. J’ai vu des dizaines de femmes et d’hommes pleurer, entendu des histoires épouvantables. J’ai aussi croisé des héros, des mères et pères courage car le pire côtoie souvent le meilleur. Le désarroi engendre ce que j’appellerais le sommet de l’humanité.”
Que faire face à cette misère ? Charleroi a ouvert des livres de condoléances pour la Turquie et la Syrie : celles et ceux qui passent à la maison communale de Marcinelle peuvent y laisser un petit mot, un message de réconfort. “Mais la fondation des Solidarités que j’ai représenté à Maras prépare une action humanitaire. Dans quelques semaines, je retournerai en Turquie, sans doute dans la région d’Hattay qui a subi les plus lourds dommages. Face à ce drame, nous devons écouter notre cœur, notre sens de la solidarité.” Des dons financiers sont possibles via le consortium 12-12 ou la Croix Rouge. Les besoins sont immenses.
Des conteneurs scolaires pour la Turquie
La fondation des Solidarités pense à faire fabriquer des conteneurs scolaires pour l’accueil provisoire des enfants. “La classe, c’est ce qui peut et doit les aider à une saine résilience après ce qu’ils ont vécu”, rapporte l’échevin. “C’est ce que nous voulons leur offrir : un lieu pour échapper quelques heures à l’horreur du quotidien. Certains ont perdu leurs foyers, ils n’ont plus de chambre à eux, d’intimité familiale. Ils n’ont plus d’école : les conteneurs vont leur permettre de se retrouver, de parler, de déposer une partie de leurs souffrances. Cela va les aider à aller mieux, à apaiser leurs douleurs intérieures. C’est la contribution que nous voulons apporter aux populations sinistrées. Des contacts préliminaires ont été pris en ce sens sur place. Nous allons également réfléchir au parrainage d’orphelins. L’intention, c’est de leur offrir une bulle de protection.”