De plus en plus de violences au CPAS de Charleroi : “je vais te casser la gueule”, jets de chaises, menaces…
Les bénéficiaires du CPAS, parfois désespérés, fâchés ou instables, peuvent se montrer violents. À Charleroi, l’institution sociale a décidé de former ses agents à la prévention. Nous avons assisté à une formation de gestion de l’agressivité destinée au personnel des antennes sociales du CPAS de Charleroi. Reportage.
Publié le 23-03-2023 à 15h01 - Mis à jour le 23-03-2023 à 15h03
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Dans notre société du “tout, tout de suite” où la paupérisation est à l’œuvre, les antennes décentralisées du CPAS de Charleroi sont confrontées à un afflux d’usagers de plus en plus stressés (isolement social, troubles de santé mentale, assuétudes, problématiques multiples) et de plus en plus instables.
L’urgence de leurs situations les pousse à exiger des réponses immédiates. Mais la législation ne le permet pas toujours. “Cet état de fait engendre des manifestations d’agressivité qui peuvent déboucher sur des explosions de violence”, constate le directeur du service social Eric Dosimont. “Pour aider nos équipes à faire face, à prévenir des comportements menaçants ou borderline, il a été décidé de les former à la gestion de l’agressivité. ”

Dans le cadre d’un marché public, la société Crime control a été désignée. “C’est après une agression à l’antenne de Gilly en 2018 que nous avons renforcé la préparation de nos agents de première ligne (psychologues, assistants sociaux, éducateurs, administratifs, auxiliaires d’accueil) à ce type de risques”, précise le président du CPAS Philippe Van Cauwenberghe.
Objectif : alléger la charge psychosociale, améliorer le bien-être et surtout la sécurité en antenne. Il faut savoir que 80 % des travailleurs du CPAS sont des femmes.

Depuis 2016, 370 agents ont bénéficié de modules de formation. Cela se passe en petits groupes de 6 à 12 participants. Pendant deux jours pour l’atelier de base — une demi-journée pour les refresh, ils sont appelés à partager leur vécu et à se mettre en situation. Des jeux de rôle qui les font sortir de leur zone de confort. “Nous leur expliquons bien que ce n’est pas la réalité”, insiste Pierre, formateur. “Nous comparons les exercices à une expérience en simulateur : on peut à tout moment arrêter le jeu en poussant sur le bouton stop, ou alors se mettre sur pause.” Concrètement, les participants s’immergent dans une réalité qu’ils ont connue ou scénarisée : une rencontre avec un bénéficiaire prêt à péter un câble, un bipolaire au bord de la décompensation, un manipulateur… On apprend à se protéger, à bien réagir, à pratiquer l’écoute active, l’empathie, l’assertivité dans la culture du respect mutuel. “Pour ne pas se laisser entraîner au-delà de son seuil de tolérance et garder jusqu’au bout la maîtrise de l’entretien”, précise Pierre. À la fin du jeu de rôle, chacun exprime son ressenti avant un débriefing collectif…
Des menaces déjà entendues : “je vais te casser la gueule !”
Pour cette session de refresh, elles sont sept à se retrouver dans une salle du centre de formation du CPAS à Monceau : Coralie, Sarah, Emilie, Selin, Steffy, Lisa et Denise ne se connaissent pas toutes. Certaines sont assistantes sociales, d’autres administratives ou éducatrices. Elles travaillent dans différentes antennes. Après un mot de bienvenue, Pierre — le formateur — les invite à coucher sur papier une situation où elles se sont senties mal à l’aise. Il va s’en inspirer avec son complice S — le comédien — pour un jeu de rôles. Emilie est la première à se porter volontaire.

Elle part d’une expérience vécue à l’accueil de l’antenne de Dampremy : un bénéficiaire débarque furax car il n’a pas reçu le paiement de son allocation, et de ce fait n’a pu régler son loyer. Il est en colère et exige des explications. Que logiquement elle n’est pas en mesure de lui donner vu qu’elle ne gère pas son dossier.
Il lui faut apaiser la tension, se mettre à l’écoute, reformuler les propos afin de bien les comprendre, demander de patienter en attendant le référent social ou le manager d’antenne.

Face à Emilie, le comédien va manifester une agressivité de niveau 3 sur une échelle de 10. Suit Sarah qui est assistante sociale : à partir de son récit, Pierre et S imaginent un nouveau scénario. Le comédien se met cette fois dans la peau d’un bénéficiaire qui a dilapidé l’entièreté de son revenu. Pour finir le mois, il a besoin d’un dépannage. Pour l’obtenir, la loi lui impose de fournir des explications sur ses dépenses, ce qu’il n’est pas disposé à faire.
Psychologie et tact sont de mise pour traiter ce dossier. Dans la foulée, Coralie qui est assistante sociale, puis Steffy, éducatrice, vont se challenger à partir d’éléments de leurs vécus respectifs… Dans les faits, les confrontations sont parfois violentes. “Après un refus, un bénéficiaire m’a dit qu’il allait me casser la gueule. ”
Les types d’agressivité : frustration, manipulation, violence
Il existe plusieurs types d’agressivité, explique Pierre, le formateur de Crime Control. L’agressivité pathologique d’abord dont témoignent des personnes qui connaissent des problèmes de santé mentale. Ce sont des schizophrènes, des bipolaires, des consommateurs de drogue ou des alcooliques. Face à eux, il faut faire preuve de vigilance, prévenir l’escalade. On n’est pas dans la rationalité.
Pour le reste, on distingue deux grandes catégories : la frustration qui est une violence émotionnelle. Celles et ceux qui ont accumulé les déceptions, les déconvenues, laissent s’exprimer leur colère. Ils ont besoin de se décharger et leurs interlocuteurs se prennent tout à la figure.
Il y a ensuite les instrumentaux. Ce sont ceux qui manipulent, qui essaient de déstabiliser, de prendre le pouvoir.

La formation prépare les agents de première ligne du CPAS à identifier ces comportements, et à les cadrer afin de prévenir les débordements. “Il est déjà arrivé que des bénéficiaires pètent un plomb”, rappelle le responsable de la communication Didier Neirynck. À l’antenne de Gilly, l’un d’eux a ainsi jeté des tables puis des chaises sur les membres du personnel. “Il s’agit bien entendu d’un cas extrême et rarissime, mais nous ne pouvons pas exposer les membres de notre personnel à de tels risques. C’est la raison pour laquelle nous investissons à la fois dans des formations et des mesures de protection”, indique le président du CPAS Philippe Van Cauwenberghe. “Tout en renforçant nos effectifs pour offrir un meilleur accueil et un meilleur accompagnement.”