”Le métier de soignant a perdu son âme” : entretien avec Didier Delval, le directeur du CHwapi
Après avoir dû faire face au Covid, le CHwapi se retrouve aujourd’hui face à d’autres difficultés. D’importants défis l’attendent : maintenir un équilibre financier malgré la crise économique, attirer du personnel, s’adapter à l’hôpital et aux patients de demain, accomplir son rêve de site Unique. Rencontre avec Didier Delval, directeur général du centre hospitalier de Wallonie picarde.
Publié le 07-03-2023 à 09h07
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Didier Delval, comment se porte le CHwapi ? En bonne santé, en état stationnaire ou en état critique ?
En bonne santé parce que ses responsables font de la prévention face notamment à une situation économique qui n’est pas des plus réjouissantes au niveau mondial. On se veut prudent et vigilant en se projetant à plus long terme pour tenter d’anticiper au mieux les mauvaises surprises.
Dans un tel contexte, comment avez-vous envisagé le budget pour l’année 2023 ?
Comme toujours, à l’équilibre, malgré les indexations salariales, la hausse des coûts qui touchent directement l’hôpital et qui se répercutent aussi sur tous nos consommables dont les prix augmentent en moyenne de 10 % ! Ce n’est pas nécessairement évident parce que les budgets des hôpitaux sont tels que leur équilibre financier ne tient qu’à un fil, et que la moindre variation dans une des lignes comptables peut tout faire basculer de l’autre côté de la ligne…
Et sur quels aspects allez-vous miser pour le maintien en équilibre des finances de l’hôpital ?
On n’a pas voulu, que du contraire, répercuter cette inflation sur le personnel, et donc on a maintenu le nombre d’ETP au sein de l’hôpital. On ne touche pas à la richesse humaine. On a aussi pris des engagements au niveau des formations du personnel et de l’achat de certains équipements médicaux. Par rapport aux autres charges, on veille à une gestion encore plus rigoureuse et on demande à nos collaborateurs d’y être aussi attentifs par des petits gestes : éteindre la lumière, couper le chauffage, ne pas gaspiller le matériel, etc. Après avoir pris en compte ces dépenses indispensables, la question est de savoir ce qu’il nous reste pour les projets… Et c’est sur cet aspect que l’on peut un peu jouer en évaluant les projets qui sont urgents et importants, et ceux qui le sont moins, et dont la réflexion peut encore attendre un peu.
Les dépenses augmentent, et qu’en est-il des recettes ?
Par rapport aux recettes, on a aussi voulu rester réaliste en misant sur une activité stable et constante par rapport aux années précédentes. On devrait par contre bénéficier de l’indexation des honoraires et du BMF (Budget des Moyens Financiers). Cette prudence et vigilance doivent nous permettre de maintenir le gros bateau qu’est le CHwapi au-dessus des flots et je ne suis pas inquiet par rapport à l’avenir financier de l’hôpital. On sait faire face aux défis ; on l’a déjà montré à plusieurs reprises.
Et le personnel, après avoir traversé deux années de crise sanitaire, dans quel état d’esprit est-il ?
Même s’il est motivé et compétent, je le sens attristé par l’écart qu’il existe entre “le pourquoi j’ai fait ce métier” et les conditions dans lesquelles je dois le faire aujourd’hui… C’est très dur pour eux. Étant moi-même soignant à la base, je comprends 1 000 fois ce sentiment de mal-être par rapport à cet écart entre le sens de leur mission et la réalité du travail sur le terrain. Il y a un paradoxe… Alors que les hospitalisations sont plus courtes, et que les effectifs sont assez limites, les soignants doivent en faire beaucoup plus que ce soit d’un point de vue administratif avec des encodages multiples, mais aussi au niveau médical ou paramédical avec des techniques plus poussées et une complexité de la prise en charge de plus en plus importante… Ainsi, par exemple, lorsque j’ai commencé, pour un infarctus ou une prothèse de hanche, la personne restait hospitalisée dix jours ; aujourd’hui, c’est quatre… et pourtant, la pathologie est la même et le traitement est plus sophistiqué ! Face à cette charge de travail et à ces nouvelles responsabilités, les soignants sont épuisés et n’ont plus le temps pour cette relation humaine avec le patient. On a un peu perdu l’âme du métier de soignant alors que le soin commence par cette relation avec l’autre… en prenant le temps d’expliquer les choses, d’écouter le patient, d’entendre ses questions, ses attentes et ses besoins. Mais de par l’évolution de la médecine et des normes, on nous demande d’aller vite dans ce temps qui est essentiel pour se concentrer sur des choses, tout aussi importantes, mais qui sont davantage administratives, loin de l’image du soignant que l’on peut avoir… C’est dommage que les autorités ne se rendent pas compte de cette responsabilité de la charge de travail ! Elles ont beau mettre de l’argent sur la table ; ce n’est pas ce que les soignants attendent… Ils veulent juste pouvoir faire leur travail dans de bonnes conditions et prendre en charge leurs patients de manière qualitative, avec un nombre de collaborateurs adapté aux réalités actuelles et une charge émotionnelle moins importante.
Le CHwapi est-il confronté à une pénurie de personnel ?
On est tout juste… Les gens aiment venir travailler au CHwapi. On parvient à recruter pour rester au niveau que l’on souhaite. Mais si on avait plus de candidats, on pourrait recruter davantage ! Où le bât blesse, c’est au niveau de l’absentéisme, soit un taux de 10 % dans le secteur ; un travailleur sur 10 alors que dans les autres secteurs, on tourne autour des 5 %… Par rapport à cette situation, on trouve des nouveaux modes d’organisation en interne comme éviter des glissements de tâches. On a aussi une très une bonne équipe et donc on parvient à faire face !
Que faut-il faire pour attirer à nouveau les soignants ?
Alléger la charge administrative et faciliter l’informatisation des services. Les autorités devraient également envisager des mesures plus spécifiques pour permettre aux gens qui le souhaitent de venir travailler, comme le fait de défiscaliser les heures prestées dans le cadre des dispenses de prestation. Il faut aussi redonner une image positive du métier de soignant. On ne fait que dire que cela ne va pas, mais il faut aussi montrer que c’est un très beau métier ! Si on ne fait rien où va se retrouver dans une nouvelle crise, bien plus profonde…
Par rapport au chantier du CHwapi site Unique, où en sont les travaux ?
Même si on a un peu de retard, cela avance ! Tous les parkings sont faits, le bâtiment va commencer à monter. On vient d’attribuer tout l’aspect “parachèvement” (électricité, techniques spéciales, mobilier, etc.). On espère les premiers emménagements pourront être réalisés courant 2025. C’est un projet important parce que l’hôpital site Unique va aussi nous aider à traverser cette crise du personnel, à être plus efficients et efficaces, en augmentant l’entraide, la collaboration, la cohésion mais aussi en facilitant la gestion des unités de soins.
Le bâtiment touché par la chute de la grue devra-t-il être reconstruit ?
A priori, il devrait être reconstruit partiellement, sans doute à hauteur de 70 % du bâtiment. Les premières analyses nous ont permis de se rendre compte de ce qu’il fallait absolument démonter. Une analyse “destructive” doit maintenant être réalisée à d’autres endroits et qui nécessitera de retirer le plâtre pour aller voir derrière et évaluer l’état de la structure. Heureusement, nous avions opté pour une construction en blocs et donc il s’agira de remplacer les caissons endommagés…
Et au niveau du budget, tenez-vous le cap ?
On tente d’absorber les augmentations des prix comme on peut… en sachant que l’on dispose d’une enveloppe fermée au niveau des subsides. On a ainsi un travail très rigoureux tant avec les équipes du CHwapi, qu’avec l’architecte et les entreprises pour s’adapter et éventuellement repenser les choses afin de rester dans le budget, même si on doit indéniablement l’augmenter quelque peu… Les prix ont grimpé de 20 %, ce n’est pas pour cela que l’on peut construire 20 % d’hôpital en moins ! Par contre, on réfléchit à d’autres techniques et à d’autres façons d’aborder le projet. Le fait de se retrouver ainsi sous tension, cela nous permet d’être stimulés à la réflexion, d’être plus créatifs. Comme lors de la crise Covid, de cette crise économique, ou de pénurie de personnel, l’agilité, l’adaptabilité, la créativité, la réactivité et surtout l’action doivent nous guider pour faire face à ces situations.