Juge de paix, la justice à visage humain en Hainaut
Philippe Culem est le patron des juges de paix et des juges au tribunal de police du Hainaut. Au fil de cinq questions, il démontre que cette justice de proximité est susceptible de tous nous concerner un jour ou l’autre.
- Publié le 08-09-2023 à 12h03
Un locataire qui refuse de payer le bail de l’appartement que vous lui louez, le client qui conteste le montant d’une facture qu’il vous doit depuis des mois, votre grand-père qui n’est plus en mesure de gérer seul son budget : autant de litiges qui sont susceptibles d’être discutés et tranchés au niveau de la justice de paix. Ce n’est donc pas pour rien que celle-ci porte le surnom de justice de proximité… “et d’accessibilité” ajoute d’emblée Philippe Culem. Le président des juges de paix et juges au tribunal de police pour l’ensemble du Hainaut nous explique pourquoi cet “ajout” lui tient à cœur : “La justice de paix se rend au niveau des cantons judiciaires, ils sont au nombre de 163 en Belgique, dont 20 en Hainaut et 5 en Wallonie picarde. Il est important pour moi de souligner le fait que chaque citoyen a les moyens, même simplement en termes de mobilité d’en appeler à un juge de paix “.
Puisqu’on a le patron des juges (!), sous la main, nous en avons profité pour lui poser 5 questions !
Qui peut faire appel à la justice de paix et quand ?

Philippe Culem : “Tous les citoyens y ont accès, pour de très nombreux litiges entre particuliers ; donc par exemple entre un locataire et son bailleur, entre deux voisins pour une haie mitoyenne, pour l’organisation de la tutelle des mineurs,… Il n’est pas nécessaire de passer par un avocat. Dans la grande majorité des cas, les personnes se présentent elles-mêmes devant le juge afin de lui soumettre leur problème”.
Le juge siège seul, il est seulement secondé d’un greffier. Et le juge rend un… jugement, cela paraît évident, mais cela sous-entend qu’il n’inflige pas d’amendes, qu’il ne prononce pas de peines de prison.
Combien de temps pour obtenir un jugement ?
Ph. C. : “Globalement, il n’y a pas d’arriéré en justice de paix, en tout cas pas en Wallonie picarde ! Je vous donne un exemple : vous introduisez une requête pour un loyer impayé. L’affaire est fixée dans les 15 jours, l’audience se tient et le jugement doit tomber dans le mois. Autrement dit, l’affaire peut être traitée au mieux en 1,5 mois. Évidemment, si des avocats interviennent, cela peut être un peu plus long et selon la nature des litiges, cela peut exiger davantage de temps de traitement. Mais cela excède rarement un an”.
Qui sont les juges de paix ?
Ph. C. : “Si l’on devait en faire le portrait-type, je dirais que l’on a un peu plus de femmes que d’hommes, qu’il est âgé de 50 ans (il faut être âgé de 35 ans minimum), qu’il était déjà magistrat avant de devenir juge de paix. Auparavant, on se battait pour décrocher un poste qui s’ouvrait. Depuis que le Conseil supérieur de la justice a été créé et a objectivé les nominations par un examen et une procédure de sélection, le vivier s’est beaucoup restreint. Ainsi, ces dix dernières années, tous les nouveaux juges de paix venaient d’autres juridictions, donc pas directement du barreau ! Et pour en revenir au portrait-robot, il s’agit de personnes qui souhaitent en revenir à une fonction judiciaire en prise directe avec le citoyen”.
Quels types d’affaires sont surtout traités par les juges de paix ?
Ph. C. : “Elles relèvent principalement de trois problématiques : les litiges économiques (qui portent sur un montant inférieur à 5 000 €), les baux (de résidence principale, commerciaux, à ferme, etc.) et la protection judiciaire des personnes. Les trois sont en augmentation essentiellement en raison de la précarisation d’une part croissante de la société, du vieillissement de la population et d’un plus grand nombre de personnes fragilisées. Mais fondamentalement, la justice de paix d’un canton est le reflet de la réalité sociétale de ce canton. Pour caricaturer, je dirai que les litiges de chasse sont plus fréquemment traités à Ath qu’à Charleroi…”
En quoi consiste la protection judiciaire des personnes ?
Sans que les statistiques soient en mesure, en l’état actuel des choses, de l’objectiver, ce troisième champ de compétence des justices de paix (la protection des personnes) semble connaître la croissance la plus forte.
Ph. C. : “La personne elle-même peut demander au juge de paix de bénéficier d’une protection judiciaire, parce qu’elle ne se sent plus apte à gérer seule ses affaires. La requête peut aussi venir d’un membre de la famille, d’un assistant social ou encore d’un CPAS. Le rôle du juge de paix est alors d’abord de déterminer s’il y a lieu ou pas de mettre la personne sous protection judiciaire, si les conditions légales sont respectées. Il s’agit en effet d’une décision extrêmement lourde, parce qu’elle est prise pour une durée indéterminée ! Puis le juge décide qui va assurer la protection judiciaire ; cela peut être une personne de la famille ou, comme c’est très souvent le cas, un avocat, qui va donc remplir le rôle d’administrateur de biens et/ou pour la personne fragilisée.
Une évolution me frappe surtout à savoir que si ce genre d’affaires a toujours concerné des citoyens relativement âgés, de plus en plus de jeunes sont désormais touchés et cela s’explique notamment par la prise de drogues et le processus de délabrement physique et psychologique qui s’ensuit.