Guarnieri est enthousiaste pour De Lie avant Milan-Sanremo: “Pourquoi Arnaud ne serait-il pas la surprise samedi ?”
Jacopo Guarnieri connaît parfaitement la Primavera que va découvrir son jeune équipier mais où, juge-t-il, l’Ardennais a ses chances…
Publié le 16-03-2023 à 19h03 - Mis à jour le 16-03-2023 à 22h32
:focal(2772x1856:2782x1846)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/ZIE42SOLQZH3BEEME73KL6WYWQ.jpg)
Samedi, Jacopo Guarnieri prendra le départ de son neuvième Milan-Sanremo. Né en Lombardie, le coureur italien a depuis longtemps émigré à Piacenza (Plaisance), en Emilie-Romagne. “La 3e étape du Tour de France de l’an prochain partira de chez moi, j’espère être là, au départ”, sourit Guarnieri que nous avons rencontré à Paris-Nice.
À 35 ans et plus de quinze saisons chez les professionnels, il est un des vétérans du peloton. Tour à tour, il a porté les maillots des équipes Liquigas, Astana, Katusha et Groupama-FDJ avant de passer, cet hiver, chez Lotto-Dstny.
”Je ne gagnais pas assez souvent (NdlR : quatre succès dont le dernier il y a douze ans lors de la 3e demi-étape A des Trois Jours de La Panne), car j’étais trop nerveux et stressé, j’ai vite compris que je ne remporterais qu’une ou deux courses par an, alors j’ai préféré me mettre au service des autres car je n’avais pas la même pression.”
Et très vite, l’Italien est devenu un des meilleurs poissons-pilotes du peloton. Le dernier, avant cette année, à avoir profité de ses services s’appelle Arnaud Démare que Guarnieri a conduit vingt-sept fois vers la victoire lors des six dernières saisons. Désormais, c’est dans la formation Lotto-Dstny qu’il est devenu la fusée lanceuse de Caleb Ewan et, plus récemment, d’Arnaud De Lie. Les deux hommes, que quinze ans séparent, étaient associés pour la première fois lors de Paris-Nice où, si le succès n’a pas été au rendez-vous, la complicité s’est faite tout naturellement, alors que près de quinze ans les séparent pourtant. L’Ardennais sait qu’il pourra compter samedi sur son aîné transalpin, sur son expérience, ses conseils et ses qualités athlétiques pour l’abriter et le placer.
La 114e édition de Milan-Sanremo change un peu cette année. Le départ sera donné à Abbiategrasso, dans la banlieue sud-ouest de Milan. Les trente premiers kilomètres seront différents des années précédentes mais à partir de Pavie, ce sera le même tracé et, à l’arrivée, il y aura toujours 294 kilomètres au compteur et même plus si l’on compte la portion neutralisée. La Classicissima reste fidèle et conforme à la classique que l’on connaît depuis 1907. Jacopo Guarnieri nous la décortique en pointant les temps forts et comment Arnaud De Lie, son jeune équipier, va s’en accommoder.
La longueur est un des principaux paramètres de la Primavera. Arnaud De Lie, qui vient seulement de fêter son vingt et unième anniversaire ce jeudi, doit-il la craindre ?
”C’est vrai que la longueur de Milan-Sanremo est impressionnante. C’est trois cents kilomètres avec la neutralisation entre le départ fictif et le départ réel. Pourtant, plus que la longueur, en termes de durée en temps, ce n’est pas beaucoup plus long qu’une course comme le Tour des Flandres ou Paris-Roubaix, peut-être vingt minutes de plus. À l’entraînement, on a fait une sortie de plus de sept heures et Arnaud a voulu tester ses jambes à la fin. Pfff… il était impressionnant, il m’a surpris. Mais Sanremo, c’est une course spéciale, je lui ai répété plusieurs fois pendant Paris-Nice, il faut s’économiser au maximum pendant toute la journée. Il n’y en a pas beaucoup, mais ce sont des efforts brutaux, le dernier capo (NdlR : le Capo Berta) et les deux dernières montées. Il faut arriver à la fin avec le maximum d’énergie mentale et physique.”
Comment tuez le temps dans la plaine du Pô avant d’aborder le col du Turchino ?
”Il faut rester concentré, le temps passe finalement assez vite. Il faut rester caché dans le peloton, bien au chaud dans la boule. On parle un peu, mais c’est différent d’une étape de grand tour où, parfois, on a le temps de discuter, où le rythme est tranquille parce que, par exemple, une échappée est partie et va aller au bout. Là, on sait que l’intensité va monter crescendo. La vitesse est élevée parce qu’il y a généralement une échappée, qu’on ne peut pas laisser prendre trop de temps et une fois qu’on a franchi le Turchino, c’est parti.”
"On a fait une sortie de plus de sept heures et Arnaud a voulu tester ses jambes à la fin. Pfff… il était impressionnant !"
Son sommet, au km 144,5, est situé à 150 kilomètres de l’arrivée et sa descente peut être dangereuse, non ?
”La montée est roulante, c’est long, mais ce n’est vraiment pas dur. La descente, il ne faut pas être vraiment devant, sauf s’il pleut (NdlR : ce qui ne devrait pas être le cas ce samedi). Depuis qu’on a fait un tunnel en haut, il n’y a pas de raison d’être vraiment en tête du peloton au sommet. Dans les cinquante ou soixante premiers, d’accord, mais pas plus, l’énergie qu’on dépense à être plus devant, elle est perdue. D’ailleurs, au bas de la descente, quand on arrive sur le littoral, on s’arrête souvent pour faire une pause-pipi avant que cela ne démarre vraiment.”

Quel rôle joue le vent et de quelle manière, la nervosité de l’épreuve est-elle usante ?
”Il est soit de face, soit de dos. S’il y a vent de face sur la Riviera, c’est paradoxal mais il sera plutôt favorable dans les bosses et donc ça va monter plus vite et ensuite se regrouper sur le plat avec le vent défavorable. Mais ça, on ne saura vraiment que la veille, voir le jour même car ça peut encore changer. La nervosité, ce n’est pas un handicap pour Arnaud, il s’amusera bien ! Je ne dis pas qu’il l’attend avec impatience, mais s’il faut frotter, il le fera sans problème.”
La course entre dans une nouvelle phase avec les trois capi, le Mele, le Cervo et le Berta, entre Alassio et Imperia, et alors qu’on a déjà couvert 240 kilomètres !
”Des trois, c’est la dernière montée la plus dure. C’est la seule fois de la journée, où il faut mettre le 39 (le petit plateau). C’est raide, pas long, quatre minutes d’effort à peine (1,8 km à 7,1 % avec un passage à 9,5 % dans les cent premiers mètres), plus court que la Cipressa (5,6 km à 4,1 %) mais plus pentu. Après, il y a encore moyen de se replacer mais la tension augmente, la nervosité commence à prendre tout le monde plus on se rapproche de la Cipressa.”
"La nervosité de Sanremo, ce n’est pas un handicap pour Arnaud, il s’amusera bien ! S’il faut frotter, il le fera sans problème."
Le pied de cette montée est à 27 kilomètres de l’arrivée, plus question de rester derrière !
”Non, en effet. Arnaud doit nous faire confiance avant d’arriver à la Cipressa. C’est à nous, ses équipiers, de bien le placer au pied, lui et Caleb (Ewan). Si ça embraye tout de suite et que vous êtes bien placé, ça va. On est dans l’aspiration, on reste dans le sillage des gars devant sans devoir faire des efforts pour revenir devant. On économise des énergies. Sinon, il y a deux épingles au bas qui font mal quand on est trop derrière. Si on tape le rouge trop tôt, ça fait mal. Dans la montée, en général, il y a une équipe qui se met devant et qui fait un tempo de ouf et fait péter presque tout le monde. Je m’attends à ce que ça soit comme ça cette année encore avec UAE. Et plus explosif au Poggio.”
Votre équipe aura deux leaders samedi, avec De Lie mais aussi Caleb Ewan. Ce n’est pas un problème ?
”Arnaud est plus complet, il grimpe mieux et il attaque plus que Caleb qui est plus sprinter. Il vaut mieux avoir deux leaders qu’un seul. Notre boulot, c’est de les amener au pied de la Cipressa, voire du Poggio, parce qu’après, il y a au maximum vingt, vingt-cinq coureurs et il ne sera plus question de train pour emmener le sprint sur la Via Roma.”
La descente de la Cipressa semble toujours dangereuse à la télévision, est-ce que l’expérience compte beaucoup parce que c’est sa première participation ?
”Arnaud l’a vue deux fois à l’entraînement. Il y a deux virages à la c… mais ça va. C’est quelqu’un qui n’a pas peur mais qui ne fait pas de folie non plus.”
La finale est lancée, entre la fin de la descente de la Cipressa et le début du Poggio, ça file. Les leaders comptent leurs équipiers…
”Arnaud m’a dit après ses reconnaissances que la vitesse est impressionnante à cet endroit, mais je lui ai dit que ce serait encore plus rapide en course. Plus encore qu’à la Cipressa, c’est fondamental d’être bien devant au pied du Poggio. Ce sera notre boulot, je l’espère, de le placer le mieux possible car, dans la première partie, il y a plusieurs épingles qui font mal si on est derrière. Il faut être dans les cinq premiers, dix au maximum, sinon toutes les relances en sortie de virage font très mal. C’est une montée qui lui convient (3,7 km à 3,7 %), ou disons qui peut lui convenir, car ça se monte en force, sur le grand plateau et Arnaud ne manque pas de force.”
"Notre boulot, c’est de l’amener au pied de la Cipressa, voire du Poggio, parce qu’il n’y a pas de train pour le sprint sur la Via Roma."
Autant que dans la montée du Poggio, la course peut se jouer dans sa descente.
”Il y a deux virages dangereux. Le tout premier et un peu plus loin mais il y a deux ou trois portions où l’on peut faire la différence sur les autres quand on connaît bien. S’il est dans les dix premiers, ça ira. On a vu ces dernières années qu’il y a un petit groupe qui sort et que la descente rebat les cartes. Arnaud est un bon descendeur, mais il faut être attentif et très lucide car la montée s’est faite full-gaz. On est à bloc, il faut faire gaffe.”
Il n’y a plus le moindre temps mort. De l’entrée à Sanremo à l’arrivée, il reste à peine 2,3 kilomètres…
”En arrivant en bas, on a de la toxine plein les jambes. Il faut courir intelligemment, sauter ou pas sur quelqu’un qui attaque. Le Corso Cavalotti, par lequel on entre en ville, ça peut être casse-pattes s’il y a du vent de face, c’est un très léger faux plat montant et à ce moment de la course, on sent que ça monte. Le sprint sur la Via Roma, ce n’est pas facile non plus. Il faut tout donner après une journée terrible. Il faut partir au bon moment. Arnaud a tout pour réussir dans cette classique. Il va la découvrir, ça peut être une belle réussite ou un peu moins, mais ce sera sa première participation d’une longue série. Milan-Sanremo, c’est particulier, une des classiques les plus faciles à perdre et une des plus difficiles à gagner. Ça se joue sur des petits détails, c’est souvent une question de timing. Bien sûr, il faut les pattes mais c’est vraiment ouvert. Ces dernières années, à part Alpahilippe et van Aert qui étaient favoris au départ, ça a toujours été une surprise. Alors, pourquoi Arnaud ne serait pas la surprise samedi ?”
