L’ancien vainqueur de Gand-Wevelgem Frank Hoste donne ses pronostics : “Arnaud De Lie sera un champion de classe mondiale”
Régulateur à moto des classiques, le Gantois, lauréat à Wevelgem et ex-directeur de la course, ne tarit pas d’éloges vis-à-vis de l’Ardennais.
Publié le 25-03-2023 à 09h35
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De 1977 à 1991, Frank Hoste fut l’un de nos meilleurs coureurs à une époque où tous ceux qui avaient ferraillé contre Eddy Merckx commençaient à piquer du nez. De la génération de Daniel Willems et Fons De Wolf, plombés tous les deux par l’étiquette de “nouveau-Merckx”, le Gantois s’est constitué un joli palmarès (57 succès quand même). L’ancien coureur d’Evergem est resté dans le milieu pendant les trois décennies qui ont suivi sa retraite sportive.
Quelles sont vos activités aujourd’hui ?
”Officiellement, je suis pensionné, j’ai 67 ans. J’ai vendu mon entreprise, j’étais importateur des vélos Chesini et j’avais un atelier de peinture de cadres. Sporza ne fait plus trop appel à moi, mais je reste consultant pour Proximus TV (en néerlandais) qui diffuse le Tour de Suisse, le Tour de Pologne ou celui de Burgos. Je suis aussi régulateur à moto pour toutes les épreuves de Flanders Classics (NdlR : Nieuwsblad, Gand-Wevelgem, À Travers les Flandres, Tour des Flandres, G.P. de l’Escaut, Flèche brabançonne, Tour du Limbourg, Brussels Classic et Course des Raisins). Un job que j’effectue aussi à Kuurne-Bruxelles-Kuurne et à Harelbeke.”
Cela consiste en quoi ?
”Nous sommes deux régulateurs à moto, avec Jurgen Foré (NdlR : le fils de l’ancien champion Noël Foré). Toujours un en tête de la course et un autre plus derrière. Nous veillons à ce que les photographes, les cameramans ou les signaleurs à moto ne soient pas sur le chemin des coureurs, ne les gênent pas ou ne les mettent pas en danger. Si un photographe ou un cameraman de la télé est trop près, on le chasse. Ce n’est évidemment pas facile sur ces routes sinueuses, étroites, avec les secteurs pavés, les différentes côtes, souvent il y a des coureurs partout.”
Ce vendredi, il y a eu la chute d’un motard dans le Quaremont. Il était fautif ?
”Non, c’est de la malchance. Il venait de déposer son photographe et il a glissé dans la boue.”
"Si j’avais été coureur aujourd’hui, j’aurais retiré plus de ma carrière d’un point de vue sportif."
Pendant des années, vous étiez directeur de course à Gand-Wevelgem.
”Oui, à partir de 2011, mais Flanders Classics a décidé il y a quelques années de créer un poste de super directeur de course pour l’ensemble de ses épreuves. C’est Scott Sunderland. Plutôt que d’être son chauffeur, j’ai préféré redevenir régulateur.”
Quel regard portez-vous sur votre carrière ?
”Si j’avais été coureur aujourd’hui, j’en aurais plus retiré. Je ne parle pas de l’aspect financier. Ça, certainement. Je parle d’un point de vue sportif. Le cyclisme était différent. Pendant mes quatre premières années, j’étais cantonné, en fait on m’a cantonné, dans un rôle d’équipier. À l’époque, les équipes étaient articulées autour de deux ou trois leaders. Tous les autres étaient à leur service. Si vous faisiez un prix, on considérait que vous aviez mal roulé. C’était la mentalité. Les deux premières saisons, chez Ijsboerke, la seule chose qui importait, c’était que Didi Thurau gagne. J’ai galvaudé ces quatre années. Je me pliais aux directives. Sinon, vous n’étiez pas repris dans l’équipe, vous ne gagniez rien et l’année suivante, vous n’aviez plus de contrat. Aujourd’hui, j’aurais plus de liberté pour jouer ma carte.”
Vous avez gagné cinq étapes du Tour et le maillot vert, deux du Giro, vous étiez un sprinter ?
”Oui, mais encore une fois, j’ai perdu quatre ans. La première fois que j’ai compris que j’avais des capacités, c’était à la Flèche de Liedekerke, que j’ai remportée au sprint devant Roger De Vlaeminck.”

En 1981, vous passez dans la grande équipe Raleigh.
”Je m’étais classé 2e à Harelbeke derrière Jan Raas et 3e du Nieuwsblad derrière De Vlaeminck et Raas. Celui-ci a dit à Peter Post, le patron de Raleigh, de me prendre. J’ai rejoint l’équipe hollandaise en 1981. C’était les Jumbo-Visma de cette époque. À la différence des autres équipes, c’était le collectif qui primait, chacun avait sa chance. Évidemment, Raas, Joop Zoetemelk, Gerrie Knetemann étaient les leaders mais les autres gagnaient aussi des courses. Deux mois après mon arrivée, je gagnais À Travers les Flandres par exemple.”
L’année suivante fut la meilleure de votre carrière.
”J’ai remporté entre autre Gand-Wevelgem puis les 4 Jours de Dunkerque, le championnat de Belgique et une étape du Tour de France.”
Vous n’avez jamais brillé au Tour des Flandres.
”Non, c’était un peu trop dur pour moi, la succession des difficultés finissait par m’user. Après 250 kilomètres, je n’ai jamais encaissé l’enchaînement Mur de Grammont-Bosberg. L’année où Michel Pollentier gagne le Ronde (NdlR : 1980), j’étais encore avec les premiers au pied du Bosberg mais Francesco Moser a attaqué sur le grand plateau et j’ai explosé. Je finis 14e. À Paris-Roubaix, c’était un peu la même chose, je ne digérais pas les derniers secteurs difficiles, Camphin-en-Pévèle et le Carrefour de l’Arbre. Pourtant, quand Hennie Kuiper s’impose, en 1983, j’avais les jambes pour gagner mais j’ai eu énormément de malchance. J’ai crevé trois fois, la première avant Wallers, la dernière au Carrefour de l’Arbre. Je suis arrivé avec Eddy Planckert et on a sprinté, je l’ai laissé à dix longueurs, mais c’était pour la huitième place.”
Gand-Wevelgem était plus votre course.
”J’ai fini troisième et je l’ai gagnée une fois. L’année où je me classe troisième, en 1983, j’avais quitté Raleigh pour aller chez Europ-Decor. À Gand-Wevelgem, les Raleigh ont roulé pour me faire perdre. Il y en avait toujours un dans ma roue. Ils étaient cinq sur dix-huit dans le groupe de tête. Je me suis fait piéger par Cees Priem, sorti dans la finale, et Jan Raas, qui le protégeait, m’a battu au sprint. Mon contrat avait été multiplié par cinq, je ne pouvais pas refuser l’offre d’autant qu’après mon excellente saison 1982, Post n’avait pas voulu m’augmenter. “Tu as gagné toutes ces courses grâce à nous”, m’avait-il dit.”
L’année précédente, vous aviez bénéficié de ce collectif.
”En effet, on était trois sur sept ou huit dans la finale quand on est revenu sur Gregor Braun. Je suis parti sur la gauche de la route, à trois kilomètres de l’arrivée. Je crois que l’équipe Raleigh a gagné cinq éditions sur six de Gand-Wevelgem à cette époque avec des coureurs différents. J’ai raté aussi quatre éditions consécutives, en 1984, j’étais malade, puis les trois années suivantes, mes équipes, Del Tongo et Fagor, n’étaient pas au départ. Ce n’était pas encore le WorldTour et pour elles, ces courses n’étaient pas importantes.”
"Je m’attends à un très dur Gand-Wevelgem, avec de la pluie, du vent et du froid."
Gand-Wevelgem allait alors le long de la côte, d’Ostende à La Panne et même de Knokke à La Panne.
”C’est vrai. C’était souvent très venteux, il y avait aussi les rails de tram qui posaient des problèmes. Au virage à La Panne, on prenait le vent de côté à De Moeren et ça bordurait. Je me débrouillais bien dans cet exercice où il faut se battre pour garder sa place, donner un coup d’épaule, frotter… Attention, aujourd’hui le parcours monte aussi à la perpendiculaire de la côte, jusqu’à Furnes, avant de redescendre. Ce sont des routes larges, très dégagées, c’est toujours très venteux et difficile.”
Gand Wevelgem, c’est aussi le Mont Kemmel.
”De mon temps, on le montait deux fois, par le Belvédère, parfois trois. Maintenant c’est trois fois. Les autres difficultés ne sont pas des montées décisives, mais à la longue, cela pèse.”
Comment voyez-vous la course, dimanche ?
”Je m’attends à une très dure édition, avec de la pluie, du vent et du froid. Si Jasper Philipsen est dans la forme de mercredi à La Panne, même si ce sera un autre plateau, il sera un des favoris. Mais il faut voir quel sera l’état d’esprit de Mathieu van der Poel et comment seront ceux qui ont fait la course à Harelbeke ? Jasper a franchi un palier cette année, on va le voir à son avantage dans les prochaines classiques.”
"Philipsen a franchi un palier cette année mais De Lie, c’est Jasper en encore plus fort. Il me fait penser à Jan Raas."
Vous croyez qu’Arnaud De Lie peut jouer un rôle, dimanche ?
“De Lie, c’est Philipsen, mais en encore plus fort. Il vient juste d’avoir 21 ans. Je vois en lui, dans le futur, un Jan Raas (NdlR : le Néerlandais a été champion du monde, il a gagné dix étapes du Tour et une quinzaine de classiques). Il a les mêmes cuisses que Raas. C’est un talent pur, un coureur de classe mondiale comme l’était Tom Boonen. Je l’ai vu au Nieuwsblad monter le Mur de Grammont sur le grand plateau. Puis, il a roulé derrière Van Baarle avec Laporte dans sa roue et au sprint, il l’a devancé facilement. Une vraie bête (“ een sterke beer”). Dans quelques années, il sera un des favoris du Tour des Flandres et de Roubaix. Il va encore grandir, mais il doit être dans une grande équipe, avec un beau programme pour progresser dans l’ombre d’un leader comme Philipsen a pu le faire en restant au chaud dans le nid alors que van der Poel prenait toute la pression. Maintenant, tout repose sur De Lie chez Lotto-Dstny, ils n’ont que lui.”
"Van Aert fait un complexe par rapport à van der Poel, mais j’espère que sa victoire à Harelbeke va changer les choses."
Et Wout van Aert ?
”Aujourd’hui (vendredi), il était à fond dans plusieurs côtes pour suivre van der Poel et Pogacar. Je pense que dimanche, il va vouloir récupérer, surtout avec la météo et face à des gars qui n’étaient pas là à Harelbeke. Je suis objectif, mais j’ai l’impression que quand Mathieu se focalise sur un grand objectif, il est imbattable. Souvenez-vous de sa victoire aux Strade Bianche. Alaphilippe était le roi des côtes à ce moment et Mathieu l’a mis à dix longueurs. Wout fait un complexe par rapport à Mathieu. Dès que van der Poel est là, dans les courses d’un jour, van Aert est sur la défensive. Il n’attaque plus, il est passif. Au Tour, c’est l’inverse, Wout est plus complet, plus fort que Mathieu sur trois semaines. J’espère pour lui que sa victoire à Harelbeke change les choses.”
Pogacar ne sera pas-là ce week-end, mais c’est un fameux champion.
”Il peut tout faire et tout gagner, le Tour de France, Liège,… sans doute le Tour des Flandres un jour. Et avec quelle manière ! C’est comme Bernard Hinault, contre qui j’ai couru. Il est incroyable.”
