Patrick Evenepoel est notre invité du week-end : “Je ne peux pas assurer que Remco restera chez Soudal-Quick Step”
Patrick, qui est à la fois le papa et le manager de Remco Evenepoel, nous explique à quel point le titre mondial a fait entrer son fils dans une autre catégorie.
- Publié le 05-08-2023 à 07h15
- Mis à jour le 05-08-2023 à 16h26
C’est dans le magasin que son fils a ouvert il y a un mois en plein centre de Schepdaal que Patrick Evenepoel (54 ans) travaille désormais. “Le métier de plafonneur me manque, mais mon corps me demandait d’arrêter, explique-t-il. J’ai des prothèses aux deux épaules et des problèmes de dos depuis une terrible chute en 2008.”
Ce jeudi, il attend, comme chaque jour, de nombreux cyclotouristes qui viendront prendre un café ou acheter la dernière paire de lunettes de soleil à la mode. Assis à la table de réunion, il revient sur l’année arc-en-ciel de son fils, sans oublier de parler des Mondiaux de dimanche et du futur.
Quel souvenir gardez-vous de la journée où Remco alla chercher le maillot arc-en-ciel à Wollongong ?
”Un souvenir incroyable, bien sûr. Déjà, le contexte avait rendu ce jour unique. Nous nous étions fixé rendez-vous au café de Rustberg à Schepdaal à 2h du matin. Au début, il y avait le noyau dur du club de supporters. Puis, au fil des tours, les gens sont arrivés. Et, à la fin, on ne pouvait plus bouger tellement on était serrés.”
Quand avez-vous compris qu’il allait gagner ?
”Assez vite. Pieter Serry avait pris la bonne échappée matinale. Et Quinten (Hermans) et Stan (Dewulf) étant avec lui, le scénario était idéal. Puis, il a attaqué, et on connaît la suite. Quand il est parti, j’ai eu l’impression de le revoir en juniors. Il semblait intouchable. C’était impressionnant. Le plus beau, pour moi, c’est qu’il a réussi tout ça sans oreillette. C’était du vélo à l’ancienne où seules les jambes parlent. Moi, quand j’étais coureur, je ne mettais des oreillettes que pour écouter de la musique lorsque j’effectuais une longue sortie pour m’entraîner. Des gars comme Remco, Pogacar, Pidcock ou van der Poel pourraient d’ailleurs s’en passer parce qu’ils courent à l’instinct et se basent sur leurs sensations. Quand ils se sentent bien, ils attaquent, ils suivent leur cœur et le tempérament.”
Qu’a changé ce titre mondial pour Remco ? On a l’impression qu’il est devenu encore plus populaire…
”Oui, et la manière dont il gère ça m’épate. Depuis l’hiver dernier, plusieurs grandes marques ou sponsors possibles le comparent à Peter Sagan. Parce qu’il a de l’aura, une personnalité forte et qu’il est différent. Pour moi, bien sûr, il reste mon gamin, mon fils, mais je comprends bien que Remco n’est pas comme tous les autres cyclistes. Il détonne un peu dans le milieu. Il assume de grosses responsabilités et prend un leadership naturellement.”
Ses victoires rapprochées à la Vuelta et aux Mondiaux 2022 ont-elles séduit d’éventuels partenaires ?
”Vous n’imaginez même pas à quel point. Pendant des semaines, mon téléphone n’a pas arrêté de sonner et je ne pouvais pas lire tous mes mails tellement j’en avais. Une marque de préservatifs a même voulu baser toute une campagne de prévention sur lui. Je comprends, parce qu’il est jeune… Si j’avais dit oui à toutes les offres que nous avons eues, Remco n’aurait déjà plus besoin de rouler à vélo tant il gagnerait de l’argent.”

Pour vous, qui êtes également son manager, n’est-ce pas difficile de faire le tri parmi toutes ces demandes ? Ce n’est pas votre métier, même si vous avez pris des cours en marketing sportif.
”99,9% des fois, je dis non. Parce qu’il faut que Remco puisse se concentrer pleinement sur sa carrière. Quand une demande me semble intéressante, je lui en parle et nous en discutons avec l’équipe. Il faut évidemment faire attention avec les droits d’image. Vous savez, Remco n’a pas plus de sponsors (Pizza Hut et BMW) qu’avant son succès la Vuelta. C’est un choix qu’on fait. Nous essayons de privilégier la qualité à la quantité. Remco a déjà assez d’obligations avec les partenaires de l’équipe.”
Remco n’est pas une marionnette dont on peut faire ce qu’on veut.
N’est-ce pas trop difficile de refuser très souvent des sollicitations ?
”Non, parce que Remco est avant tout un cycliste professionnel. Il n’est pas une marionnette dont on peut faire ce qu’on veut. Quand je constate tout ce qu’il doit faire en fin de saison pour satisfaire les sponsors de l’équipe, je me dis que c’est beaucoup trop. Je les comprends, mais il a droit à ses vacances aussi. Tout ce qu’il a réussi à travers ses performances au cours de cette année me semble déjà plus qu’assez. Par ses excellents résultats, Remco a servi les intérêts de tout le monde. Ce n’est pas comme si on n’avait pas vu le maillot arc-en-ciel.”
Il semble, néanmoins, assez enclin à faire le job de représentation…
”Parfois, ça lui pèse. Comme tout le monde, il préfère certaines choses à d’autres, mais, quand il accepte, il se donne toujours à fond. Je ne peux que lui tirer mon chapeau pour cela. Cette disponibilité et ce professionnalisme lui sont venus tout à fait naturellement. Il n’a pas fallu le coacher ou je ne sais quoi d’autre. Puis, jusqu’à présent, il a pu compter sur Phil Lowe, qui, pour lui, est bien plus qu’un simple attaché de presse. C’est malheureux qu’il quitte l’équipe parce que Remco apprécie énormément travailler avec lui.”
Dimanche, vous serez de nouveau avec tous les supporters à Schepdaal ?
”Oui, on voit mieux la course à la télévision. Et j’espère que mon fils sera de nouveau champion du monde. Il est en bonne forme et c’est son ambition. Il fait partie des favoris. Maintenant, le sélectionneur va devoir gérer le fait d’avoir trois leaders. Est-ce trop ? On verra dans les faits. En tout cas, tous les trois peuvent revendiquer quelque chose. Que ce soit Philipsen, van Aert ou Remco, ils auraient tous la légitimité de jouer leur carte personnelle et de ne pas rouler pour les autres. Imaginez qu’au nom d’une quelconque tactique, on leur demande de se relever ou je ne sais quoi. Vont-ils accepter ? C’est un peu comme si on demandait à un footballeur de faire demi-tour pour faire l’assist à un équipier, alors qu’il se trouve devant le but vide. Si tu es capable de devenir champion du monde, pourquoi dois-tu aider un autre à l’être ? Ce serait drôle de poser cette question à Eddy Merckx.”

En quoi Remco vous étonne-t-il encore ?
”Sa personnalité nous surprend de plus en plus. Il est plus calme, plus posé qu’avant. Il a grandi en tant qu’homme. Aujourd’hui, on peut passer des moments plus cool qu’avant. À 15 ans, il fallait que tout soit parfait et ce n’était pas toujours facile à vivre pour nous. Mais c’est sans doute ce tempérament-là, cette exigence, qui a fait qu’il est devenu le champion qu’il est aujourd’hui. En résumé, Remco est plus facile à vivre qu’à 18 ans. Il parle d’autres choses que de la course et c’est très bien comme ça.”
Gagner le Tour de France, c’était son rêve et c’est devenu un objectif.
Votre rêve de père est-il que Remco gagne un jour le Tour de France ?
”Non, ça, c’était son rêve à lui. Et c’est devenu son objectif. Et nous, ses proches, mettrons tout en œuvre pour qu’il l’atteigne.”
Quand a-t-il abordé le sujet pour la première fois ?
”Remco a toujours aimé le Tour de France, même quand il n’était pas encore cycliste. Il n’avait d’yeux que pour Contador. Je pense qu’il aimait sa façon de rouler.”
Depuis quand croyez-vous à cette possibilité ? Depuis qu’il a gagné la Vuelta ?
”Non, on y croit depuis qu’il fait du vélo. Jusqu’à présent, Remco a atteint tous les objectifs qu’il s’est fixés. C’est très impressionnant. Il tient ça de sa maman. Ils sont pareils. Mais on sait que pour gagner le Tour, il faut que toutes les pièces du puzzle s’imbriquent parfaitement les unes dans les autres.”
Pensez-vous qu’il pourrait déjà rivaliser avec Vingegaard et Pogacar en 2024 ?
”Oui, si tout est parfait autour de lui. Je ne parle pas que de ses équipiers, mais aussi du matériel, de la nutrition, l’entourage, les camps d’entraînement…”
Remco a manifesté son envie de rester au sein du Wolfpack, mais fait-il encore l’objet d’un intérêt d’autres équipes ?
”Oui, et pas seulement d’Ineos. J’ai eu des contacts avec cinq grosses cylindrées, dont trois très concrètement. C’est logique dans la mesure où Soudal – Quick Step n’est pas certaine de pouvoir offrir à Remco la garantie qu’il pourra jouer la gagne sur la Grande Boucle dès l’an prochain (NdlR : Louis Vervaeke et Ilan Van Wilder viennent d’y prolonger leur bail). Peut-être que dans trois ans, ce sera le cas, mais Remco veut être avec les meilleurs du Tour dès l’année prochaine.”
S'il sera toujours chez Soudal Quick-Step l'an prochain? Je ne peux pas l'assurer, non.
Pouvez-vous nous assurer que votre fils sera membre de Soudal Quick-Step en 2024 ?
”Je ne peux pas l’assurer, non. Il faut d’abord voir comment l’équipe va évoluer. Remco veut rester à la condition que tout soit mis en œuvre pour qu’il puisse être compétitif l’été prochain au Tour. Or, pour espérer lutter avec Vingegaard et Pogacar, l’équipe ne doit pas faire un pas en avant, mais quatre ou cinq.”
Dans quel état d’esprit ira-t-il à la Vuelta à la fin du mois ?
”Si Remco devait dire qu’il ne prend pas le départ du Tour d’Espagne pour le gagner, personne ne l’accepterait. C’est son envie, bien sûr. Mais il veut aussi profiter de la présence conjointe de Vingegaard et de Roglic pour voir comment fonctionne tactiquement au quotidien la meilleure équipe du monde.”
Il n’a pas besoin de s’acheter une Ferrari pour être heureux.
Remco gagne beaucoup d’argent désormais. Quel rapport a-t-il avec ça ?
”Remco a les pieds sur terre. Il ne fait pas de folies et s’appuie sur les services d’un banquier pour faire de bons investissements. Il n’a pas besoin de s’acheter une Ferrari pour être heureux. Il préférera offrir un restaurant à toute l’équipe au soir de la Vuelta, par exemple.”