Axel Merckx, fils d'Eddy, est de retour en Belgique pour le Tour de France: "J’appelle mon père tous les jours"
Axel Merckx est revenu en famille du Canada pour profiter du Grand Départ : "Mes filles vont comprendre le mythe de leur grand-père."
Publié le 29-06-2019 à 08h43 - Mis à jour le 29-06-2019 à 15h32
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Axel Merckx est revenu en famille du Canada pour profiter du Grand Départ : "Mes filles vont comprendre le mythe de leur grand-père." Exilé en famille au Canada depuis des années, Axel Merckx ne pouvait décemment pas louper le Grand Départ à Bruxelles. Dans sa ville. En l’honneur de son père. Il a emmené dans ses bagages toute sa famille (Jodi, son épouse, et ses deux filles, Axana et Athina-Grace) afin de participer à cet événement unique. "Cela leur permettra aussi de mieux mesurer ce que représente leur grand-père pour la Belgique, et pour le Tour", dit-il.
Pour enjoliver notre rubrique "Mon Merckx à moi", impossible de passer à côté de son témoignage. Des yeux d’un fils de mais aussi d’ex-coureur cycliste professionnel. À 47 ans, même si l’une ou l’autre ride trahit son âge, celui qui œuvre désormais comme manager général de l’équipe de jeunes Axeon-Hagens Berman garde la ligne. Il avoue même : "Après quelques années de bouderie, j’ai retrouvé le plaisir de rouler à vélo."
Interview noir-jaune-rouge sur fond de "Mon père ce héros" avec, mine de rien, un médaillé olympique (3e à Athènes en 2004), vainqueur d’une étape du Giro (2000), du Tour de la Région wallonne (2000) et champion de Belgique (2000 également) mais qui a aussi terminé dans le top 10 du Tour de France (1998). Devant un expresso serré au bar d’un hôtel de luxe au centre de Bruxelles.
Vous venez de revenir en Belgique. Que pensez-vous de l’engouement autour du Grand Départ à Bruxelles ?
"C’est vraiment exceptionnel que la Ville de Bruxelles ait fait l’effort pour obtenir le Grand Départ en l’honneur de mon père. Car ce n’est jamais simple. Il est fier de ce grand événement mais il n’est plus tout jeune. Il récupère moins vite et, physiquement et émotionnellement, c’est lourd. J’avais envie que toute ma famille soit présente. Mes filles connaissent le mythe du grand-père mais elles vont se rendre compte de ce qu’il représente pour Bruxelles, pour la Belgique et pour le Tour."
Parlons de votre enfance. N’avez-vous pas eu parfois le sentiment que le public vous volait votre père ?
"Parfois, c’était pesant mais sans animosité. Quand nous allions au restaurant par exemple, les gens l’abordaient pour un autographe, une photo. Il n’était pas rare que certains me poussent sur le côté pour l’approcher au plus près. J’ai parfois eu l’impression d’être un cône."
Vous vous êtes rendu compte très tôt de sa popularité alors que vous ne l’avez jamais vu courir.
"J’avais 5 ans quand il a mis un terme à sa carrière. Vers l’âge de 9-10 ans, j’ai commencé à regarder les cassettes vidéo de ses courses. Uniquement celles où il gagnait. Mon premier choc, ce fut le film documentaire La Course en tête (de Joël Santini) . J’ai détesté voir mon père souffrir. Je me suis réfugié dans ma chambre en pleurant. Il est venu me consoler en me disant que c’était le métier et que le sport requiert des sacrifices."
Même si vous vous êtes fait un prénom, n’était-ce pas un fardeau de s’appeler Merckx ?
"À l’école, pas vraiment. Par contre, dans le milieu sportif, ce fut plus compliqué. Je me souviens d’un match de foot avec Anderlecht du côté de Diest où les parents du club adverse scandaient le nom de Moser à chacune de mes interventions parce qu’il venait de battre le record de l’Heure de mon père (NdlR : c’était en 1984) . À l’époque, j’étais impulsif et je me suis rué vers les balustrades. Mon père m’a engueulé parce que je devais rester concentré et ne pas répondre à la provocation. Quand j’ai débuté le vélo, ce ne fut pas toujours facile à vivre non plus. Les adversaires et les parents pensaient que j’allais rouler plus vite que les autres parce que je m’appelais Merckx. Je me suis accroché notamment parce que je me débrouillais pas mal. J’avais et j’ai eu tout au long de ma carrière le même défaut : je ne parvenais pas à gagner."
Vous souvenez-vous du jour où vous lui avez annoncé que vous vouliez faire du vélo ?
"A posteriori, je pense qu’il s’en doutait un peu mais j’avais peur de le lui dire. Un soir, j’ai collé un mot sur le grand miroir de la maison afin qu’il le voie au réveil. Il a attendu la fin de la journée pour m’en parler. Sa première réflexion : ‘Avec le nom que tu portes, imagines-tu dans quoi tu t’embarques ?’ Deuxième réflexion : ‘Si tu veux faire du cyclisme, tu le fais à 100 %.’ Troisième point : ‘Si tes études en souffrent, c’est fini.’ Cela m’a motivé. Mes parents m’ont donné deux ou trois ans pour tenter l’aventure."
Sincèrement, porter le nom Merckx n’a-t-il pas été un plus pour votre carrière ?
"Sans aucun doute. J’ai dû prouver et m’accrocher pour obtenir, au fil de ma carrière, des résultats croissants. Néanmoins, cela m’a permis de décrocher un contrat pro dans une équipe au gros budget (NdlR : Telekom puis Motorola) notamment parce que mon père sponsorisait des équipes. Je ne suis pas dupe. La valeur marchande du nom Merckx m’a aidé. Au début, je me suis mis la pression et les médias ont embrayé. Je n’étais qu’un néo-pro et, à chaque course, on voulait m’interviewer car mon père avait gagné au même endroit il y a 25 ou 35 ans."
Quand vous avez débuté le cyclisme, n’avez-vous pas encore été plus impressionné par ses victoires ?
"Évidemment. Ce qui m’a vraiment frappé, c’est le palmarès, l’accumulation et la qualité des victoires. Moi qui éprouvais des difficultés à conclure."
Une de ses multiples qualités de coureur que vous auriez aimé avoir ?
"J’hésite entre le sprint qui m’aurait permis de gagner plus de course et son talent de rouleur contre-la-montre. Je sprintais comme un fer à repasser comme on dit et, en chrono, je m’ennuyais."
A contrario, une qualité sur le vélo que vous avez et qu’il ne possédait pas ?
"Ce serait prétentieux mais j’étais plus fort que lui dans les descentes. Quand il me suivait, il disait souvent que j’étais fou."
Impossible de comparer vos palmarès mais vous avez quand même décroché une médaille de bronze aux J.O. d’Athènes en 2004 et lui pas…
"Ne comparons pas. À l’époque, il fallait être amateur pour y participer. Sinon, il aurait gagné plusieurs médailles en chrono et sur route. Néanmoins, la reconnaissance est internationale. Tous les jeunes rêvent d’être un jour sur le podium des J.O. Au Canada, c’est mon seul résultat qui compte."
À propos du Canada, pourquoi avoir choisi l’exil à l’autre bout du monde après votre carrière car vos parents souffrent de l’éloignement ?
"Il ne faut pas croire que c’est toujours facile pour le fils que je suis non plus. Mon père, je l’appelle tous les jours. C’est un choix personnel mais aussi de famille. Je voulais que mes enfants grandissent dans un environnement normal. En tout cas, qu’ils ne vivent pas la même jeunesse que moi. Quand Axana (NdlR : qui a décroché une bourse d’études à l’université d’Arizona) est venue nager en Belgique (avec deux titres à la clé...) en mai dernier à Anvers, tous les médias se sont précipités sur elle. Cela prouve que j’avais raison de ne pas rester en Belgique."
"Virenque a mangé sa parole en 2004"
En neuf Tours, il a frôlé à plusieurs reprises la victoire d’étape.
Neuf Tours de France à son compteur. Dont un où il a défilé sur les Champs-Élysées aux côtés du vainqueur. Même si Floyd Landis (de l’équipe Phonak à l’époque) avait été déclassé quelques jours plus tard après un contrôle antidopage positif. Axel a rarement disputé la Grande Boucle de manière anonyme même s’il n’a jamais remporté d’étape (NdlR : deux fois 2e et une fois 3e) et s’il a été contraint à l’abandon en 1999 (à Sestrières le jour où un certain… Lance Armstrong prend une sérieuse option sur son premier succès) et qu’en 2003 il est carrément arrivé hors délais. Pourtant, il l’avoue : il aime le Tour.
"Oui car c’est vraiment la fête du vélo. Cela a toujours été une joie d’y participer. Certes, il y a de la pression mais elle ne me dérangeait pas. Pourtant, j’en ai bavé. J’ai été largué, je suis même arrivé hors délai (NdlR : le 21 juillet, jour de la Fête nationale belge, en 2003 à Luz-Ardiden). J’ai fait toutes les places du top 10 d’une étape sauf la première. Demandez à un gamin qui aime le vélo quelle course il aimerait gagner ? Le Tour… Même au Canada, où la culture du cyclisme est balbutiante, ils regardent le Tour au petit-déjeuner à cause du décalage horaire."
Reste ce manque de ne pas avoir levé les bras sur le Tour. Alors qu’il est passé tout près. Et que la 10e étape du Tour 2004 de Limoges à Saint-Flour lui reste encore en travers de la gorge.
"Richard Virenque (avec qui il était échappé) n’a pas tenu parole. J’ai été trop naïf. Mais je n’ai plus envie d’épiloguer…"
On sent quand même que la cicatrice n’est pas totalement refermée… Pour rappel, le duo était échappé avec plusieurs minutes d’avance. Le coureur français rêvait de conquérir son 7e maillot à pois de meilleur grimpeur après sa suspension pour dopage. Axel lui permettait de rafler tous les points au sommet des bosses mais lui devait remporter l’étape. Jusqu’au moment où Virenque l’a joué solo pour s’imposer à Saint-Flour, offrant au monde entier un Axel et un Eddy furibards.

"Gilbert a la même mentalité de gagneur"
Il regrette l’absence du coureur belge sur le Tour cet été.
Durant sa carrière, Axel a côtoyé quelques belles pointures du cyclisme. Comme Lance Armstrong, aujourd’hui pestiféré, qui lui a mis le pied à l’étrier lors de sa reconversion comme manager d’équipe et qui l’a encore récemment aidé sur le plan personnel. Comme Marco Pantani. Comme Jan Ullrich. Comme Michele Bartoli et bien d’autres. Autant de coureurs qui ont marqué leur temps mais incomparable à Eddy Merckx.
Avez-vous croisé un coureur qui possédait la mentalité d’un cannibale ?
"Non car le cyclisme a beaucoup changé. Il s’est hyper-spécifié entre les coureurs qui misent tout sur un grand tour et les chasseurs de classiques. Néanmoins, un coureur comme Philippe Gilbert fait partie de la même race que mon père. À l’exception des grands Tours, il s’aligne à chaque course pour gagner, il aime gagner, il gagne partout sur tous les terrains. Il n’a de cesse de viser les monuments, les grandes courses qui marquent l’histoire du cyclisme. À 36 ans, il y est parvenu avec Paris-Roubaix mais il veut encore aller chercher Milan-Sanremo. Il est insatiable. Son absence au Tour ? C’est vraiment dommage de priver la Belgique de son meilleur coureur. Même si le plus peiné dans cette histoire doit être Philippe lui-même."
Quand vous rouliez, Eddy semblait encore plus heureux de vos victoires que des siennes. Tout le monde a en mémoire ses bras levés lors de votre succès au championnat de Belgique à Rochefort en 2000.
"C’est humain. Moi aussi, ma joie est décuplée quand un de mes enfants réalise un résultat. Gagner pour mon père, c’était son job. À la limite, il était même payé pour ça. Il adorait gagner mais il ne fêtait pas ses succès durant dix jours. Ma mère m’a souvent dit qu’au soir d’une grande victoire, mon père pensait déjà à la course suivante."

"Dommage que Remco Evenepoel soit belge"
"Pour l’anecdote, il devait signer dans mon équipe avant que son succès au championnat d’Europe change tout. Il m’impressionne. Fort dans le chrono, une récupération au-dessus de la moyenne, un gros moteur et il donne le sentiment d’être capable de gérer la pression même si cela doit lui peser. Sa malchance ? Être belge ! Il va inévitablement être tout le temps comparé à Eddy Merckx. Être un champion, c’est un tout. Il faut le physique et le mental."
