La Vuelta arrive chez la légende Joseba Beloki, qui est notre invité du week-end : “Des questions tant que Remco ne sera pas au Tour”
Il y a vingt ans, Joseba Beloki était victime d’une terrible chute durant le Tour de France. Trois fois sur le podium à Paris, il se délecte du cyclisme actuel incarné par Evenepoel.
- Publié le 09-09-2023 à 10h21
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L’homme est content qu’on s’intéresse à lui comme lui montre de l’intérêt pour bien d’autres choses que le cyclisme. “Et ça va la politique en Belgique ? nous demande-t-il. Parce que chez nous, c’est compliqué.”
Joseba Beloki est ainsi fait. À 50 ans, l’ancien coureur cycliste, monté à trois reprises sur le podium du Tour de France (3e en 2000 et 2001 ; 2e en 2002), suit l’évolution de son fils, actuellement chez les juniors. Il observe aussi avec grand intérêt l’évolution du cyclisme actuel et la Vuelta, qui arrive près de chez lui ce dimanche 10 septembre.
Joseba, que pensez-vous du cyclisme actuel, tourné vers l’offensive à outrance ?
”Évidemment, ça me plaît, comme à tous les amateurs de cyclisme. C’est surtout la spontanéité et la répétition des attaques qui impressionnent. Je me souviens encore des Championnats du monde de Glasgow. On avait les meilleurs qui tentaient des choses de loin. Ça partait dans tous les sens. Avec la multiplication d’efforts courts, on se serait cru à un cyclo-cross. Ce n’est pas étonnant que van der Poel et van Aert aient pris les deux premières places.”
Cette génération, illustrée aussi par Pogacar, Evenepoel et Vingegaard, n’a pas attendu longtemps pour gagner chez les professionnels…
”Il est important de signaler que tous ces gars que vous mentionnez roulent pour des grandes équipes où on les place dans des conditions idéales pour forger des exploits. Bien sûr, ils sont là parce qu’ils ont fait des résultats avant de passer pros. Je dirais que plus qu’une génération incroyable, on a un cyclisme spectaculaire.”
Plus que jamais, le cycliste est un athlète de très haut niveau.
Auriez-vous aimé être cycliste professionnel aujourd’hui ?
”Cela aurait été difficile pour moi. Je n’étais pas adepte des brusques changements de rythme. J’étais un diesel qui pouvait atteindre progressivement un tempo élevé. Ça ne colle pas trop avec la manière dont les mecs roulent aujourd’hui. Ils me rappellent la façon dont roulait Pantani et Contador. Cela dit, je me reconnais quand même en un Geraint Thomas. Quand il monte un col à son rythme, sans se mettre dans le rouge, il me fait penser à moi. Et il a quand même gagné le Tour (en 2018). Une chose est sûre : plus que jamais, le cycliste est un athlète de très haut niveau.”
On arrive près du Pays basque que vous chérissez tant. Le cyclisme y reste très populaire. On l’a encore vu au Tour de France. Mais la relève semble tarder…
”Il faut dire qu’on a eu un passé riche. Il y a bien sûr eu Miguel Indurain, puis Abraham Olano et moi. Ensuite, Mikel Landa et Pello Bilbao. Mais c’est vrai qu’on n’a plus de référence pour les grands tours. Dans l’immédiat, le cyclisme espagnol doit plutôt miser sur Carlos Rodriguez et Juan Ayuso, même s’ils ne sont pas basques (il rit). Le coureur d’UAE Team Emirates s’inscrit dans ce cyclisme offensif dont je parlais au début. Il est très agressif et semble n’avoir peur de rien. Être plus jeune que les autres ne lui donne aucun complexe. Au contraire ! Il se sent très fort et le dit. Rodriguez est plus calme, plus tempéré. J’apprécie énormément leur évolution à tous les deux. Seront-ils en mesure de gagner, un jour, la Grande Boucle ? On verra. Même si toute l’Espagne le souhaite, cela me semble encore un peu difficile dans l’immédiat. Quand on voit à quel niveau a évolué Vingegaard en juillet, cela me semble compliqué de rivaliser avec lui. Mais il y a deux ans, personne ne s’attendait à ce que le Danois devienne aussi fort. Donc, pourquoi ne verrait-on pas d’autres cyclistes émerger ? Tout évolue tellement vite dans le peloton actuel. Des nations se révèlent, comme le Danemark, la Norvège. Et certains pays de l’Est se montrent chez les jeunes. Sans oublier la Grande-Bretagne.”
Depuis son arrivée chez les pros en 2019, Remco semble dominer son sujet comme un vieux briscard.
Et où situez-vous Remco Evenepoel dans tout ça ?
”Remco m’impressionne surtout par sa personnalité. Sa principale victoire est, je pense, son état d’esprit et la manière dont il gère les attentes énormes qu’il suscite. Depuis son arrivée chez les pros en 2019, il semble dominer son sujet comme un vieux briscard. C’est vraiment épatant. Quand je l’écoute parler, j’ai l’impression qu’il a déjà une carrière de dix ans derrière lui. Sportivement, on attend tous ses grands débuts au Tour de France. On connaît sa valeur sur les courses d’un jour. Il a déjà gagné la Vuelta. Donc, il ne lui manque que ça : briller à la Grande Boucle.”
Que lui manque-t-il pour être capable de viser la victoire au Tour ?
”C’est une bonne question. Et cette Vuelta va apporter des réponses. Le niveau est très élevé et il doit garder le cap en troisième semaine, sans aucun doute la plus difficile. Le Tour n’a rien à voir avec le Giro et le Tour d’Espagne. Certains coureurs n’ont jamais été en mesure de reproduire sur la Grande Boucle ce qu’ils avaient réussi en Italie ou en Espagne. Pour Remco, nous continuerons à nous poser des questions tant qu’il ne sera pas au Tour de France. Je ne vous surprendrai pas en vous disant que tout y est plus grand et que les cols ne sont pas comparables à ceux qu’il faut franchir dans les deux autres grands tours. Ils sont, en général, beaucoup plus longs. Au Tour, il y a aussi bien plus de pression et un leader doit être entouré par des coureurs d’expérience. Au Tour, l’expérience est un facteur primordial.”
À ce niveau-là, l’arrivée de Mikel Landa chez Soudal Quick-Step est donc une bonne chose ?
”Je le pense. En montagne, en tout cas. Mais, pour moi, l’essentiel est que le leader puisse compter sur des lieutenants capables de le préserver des mauvais coups ou des chutes lors des étapes dites plus faciles. Il faut que le leader puisse aborder la montagne en ayant gardé de la fraîcheur. S’il doit boucher un trou parce qu’il était pris dans une chute ou un coup de bordure, il dépensera de l’énergie inutilement.”
Cette chute fait partie de mon histoire, de ma vie, même si elle a signifié la fin de ma carrière au plus haut niveau.
Quand on évoque votre nom, la première chose qui vient à l’esprit, ce sont les images terribles de votre chute dans la descente en direction de la Rochette il y a tout juste vingt ans. N’en avez-vous pas marre que l’on vous en parle ?
”Pas du tout. Parce que cette chute fait partie de mon histoire, de ma vie, même si elle a signifié la fin de ma carrière au plus haut niveau. Bien sûr, j’en garde un très mauvais souvenir. Dans cette descente se sont envolés mes derniers espoirs de remporter le Tour de France et de disputer davantage de classiques pour les gagner. Je voulais découvrir l’Amstel Gold Race et Liège-Bastogne-Liège mais cet accident a rendu cela impossible. Même si j’étais un dur au mal, tout s’est arrêté ce jour-là.”

Vous avez terminé à trois reprises sur le podium du Tour. Quelle année avez-vous eu le sentiment de pouvoir le remporter ?
”Je ne crois pas m’être fait une seule fois des illusions. Contre Lance Armstrong, c’était très très compliqué, vous vous en doutez bien. Je perdais toujours beaucoup de temps lors du premier chrono. Ça m’imposait un certain réalisme. Quand on arrivait à la moitié du Tour, je me disais qu’il fallait surtout que je conserve ma place au classement général. On peut voir ça comme un manque d’ambitions mais je savais précisément ce dont j’étais capable. Mais c’est sans doute en 2002 que j’ai le plus accroché Armstrong.”
Comme vous, Chris Froome et Egan Bernal se sont relevés d’une chute avec de multiples fractures. Pensez-vous que le Colombien peut revenir à son meilleur niveau ?
”Cela me semble malheureusement très compliqué. Parce qu’il a souffert de très graves blessures. N’oubliez pas qu’au début, on se demandait même s’il allait pouvoir marcher à nouveau. Vous savez, le retour d’un coureur dépend aussi de la chance. Si la fracture est très compliquée à résorber, comme dans le chef de Bernal, vous perdez beaucoup de puissance dans votre jambe. Il peut y avoir des séquelles irréversibles. Si j’ai bien compris, il n’a plus la même force dans les deux jambes.”
Remco Evenepoel a, lui aussi, connu une grave chute, dont il est revenu plus fort…
”Remco a été chanceux. Il a pu retrouver le corps qu’il avait avant sa chute et construire là-dessus. Cela a été un long coup d’arrêt mais cela ne lui a pas laissé des blessures impossibles à guérir. Son cas m’a rappelé celui d’Alejandro Valverde. Quand il est tombé lors du contre-la-montre de Düsseldorf, au départ du Tour 2017, on pensait aussi qu’il ne reviendrait jamais au plus haut niveau. Et il est devenu champion du monde un an plus tard.”