Wlodek Lubanski, le "Cruijff de l’Est" préface Belgique-Pologne: "Tous les Polonais pensent que les Diables sont prenables"
Cela fait 50 ans que l’icône polonaise Wlodek Lubanski, "le Cruijff de l’Est", a gagné la médaille d’or aux JO et a reçu une offre du Real. Interview… à Lokeren.
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- Publié le 07-06-2022 à 07h43
- Mis à jour le 07-06-2022 à 15h56
Quand je me balade en Pologne, les gens - âgés mais aussi jeunes - s'arrêtent et me disent : 'Monsieur Lubanski, tout simplement merci !' Vous ne vous imaginez pas à quel point cela me fait plaisir." Monsieur Lubanski (73 ans), Wlodek de son prénom, est le plus grand footballeur de son pays, jusqu'à la montée en puissance d'un certain Robert Lewandowski.
Incroyable mais vrai, Lubanski a joué pendant sept saisons à Lokeren - entre 1975 et 1982 - et il n'a plus quitté notre pays. "J'ai d'ailleurs aussi la nationalité belge", précise-t-il, en nous accueillant dans sa brasserie favorite à Lokeren.
Voici son histoire surréaliste et son avis de connaisseur.
Belgique - Pologne:" Les Polonais croient qu’ils vont vous battre"
Mercredi soir, Lubanski ne sera pas présent au stade Roi Baudouin. "Je veux pouvoir regarder le match à mon aise, et ce ne serait pas possible si tous les supporters polonais me repèrent. Déjà maintenant, c'est la folie. Tous les journalistes polonais m'appellent."
Lubanski s'attend à un match difficile pour la Pologne. "Tous les Polonais pensent que la Belgique est prenable, après votre défaite 1-4 contre les Pays-Bas. Moi, je dis que vous voudrez une revanche."
Des matchs contre la Belgique, il en a joué deux, lors des qualifications pour l'Euro 1968 en Italie. "On a gagné deux fois : 3-1 en Pologne et 2-4 au Heysel. J'avais marqué deux fois contre Jean Nicolay à l'aller et j'avais donné trois assists au retour. Alors que je n'avais que 19 ans. C'était un honneur, pour nous, d'accueillir la Belgique avec Van Himst et Van Moer."
Lewandowski à Barcelone ?"Moi, je resterais au Bayern, mais il choisit !"
Comme toujours, les yeux seront braqués sur Robert Lewandowski, la grande vedette du Bayern Munich, qui était présent aux deux finales à Roland-Garros. Malgré ses 75 buts en équipe nationale, il se fait souvent critiquer, comme après l'Euro. "Moi, je l'ai défendu à la télé", dit Lubanski. "Au Bayern, il joue dans une équipe qui est une machine. Tout le monde joue en fonction de lui. Il reçoit cinq à six occasions par match. En équipe nationale, il en a une ou deux. Et il n'est pas un joueur à la Messi qui se crée des occasions après des actions individuelles."
Lewandowski a décidé de quitter le Bayern après huit saisons et 348 buts officiels. Son nom est cité à Barcelone. "Toute la Pologne veut mon avis à ce sujet. Je réponds : 'No comment.' J'estime que chacun doit faire son propre choix. Je peux juste vous dire ce que moi je ferais, si j'étais à sa place. Moi, je resterais au Bayern, le club où il casse la baraque. À Barcelone, il serait sous une énorme pression. Ce ne serait pas évident de répondre aux attentes, à 34 ans. Mais bon, je comprends que les gens autour de lui aimeraient gagner beaucoup d'argent sur le transfert."
Lewandowski ou Lubanski ?"Jeune, il a loupé un test au Legia Varsovie"
Lewandowski ou Lubanski ? C'est un peu la même question que celle où il faudrait choisir entre Lukaku et Van Himst. "On ne peut pas comparer les époques et les carrières, indique Lubanski. Quel palmarès est-ce que j'aurais eu si j'avais pu partir vers un grand club européen ?"
Les buts en équipe nationale, on peut les comparer. 75 pour Lewandowski, 50 pour Lubanski, qui est deuxième meilleur buteur de l'histoire de la Pologne. Ou est-ce qu'il n'en a que 48, comme indique Wikipedia ? "Non, non ! J'en ai 50 ! Ces deux buts, je les ai marqués dans un match non officiel. Mais l'hymne avait été jouée. On ne va pas me les enlever, godverdomme ! À mon époque, on jouait cinq matchs internationaux par an, maintenant il y en a quinze."
Lewandowski a marqué ses 75 buts en 130 matchs (0,75 but par match), Lubanski a scoré ses 50 buts en 80 matchs (0,62 but par match). "J'avais 16 ans quand j'ai commencé. J'étais un gamin. La nuit avant le match, je n'avais pas fermé un œil et j'avais dû aller dix fois à la toilette. Robert, lui, avait déjà 20 ans. Je ne pensais pas qu'il deviendrait un si grand. Vous savez que le Legia Varsovie l'a testé et ne l'a pas pris ? À 22 ans, il a fait un excellent choix en allant à Dortmund, qui a joué en fonction de ses qualités. Saison après saison, il a grandi et il est devenu qui il est maintenant."
Coupe d’Europe et JO:"On n’a reçu que 300 € pour notre médaille d’or"
À la fin des années 1960 et au début des années 1970, Lubanski a multiplié les succès avec son club Gornik Zabrze et avec l'équipe olympique. "Avec Gornik, on a battu le grand Manchester United de Bobby Charlton et George Best, en 1968. Sur le score de 1-0 devant 78 000 spectateurs et j'ai marqué. L'entraîneur Matt Busby voulait directement me transférer. En 1971, on a joué et perdu la finale de la Coupe d'Europe contre Manchester City. Je n'oublierai jamais la demi-finale contre l'AS Rome. On l'avait gagnée après un pile ou face à l'issue de la 'belle' qu'on avait dû jouer à Strasbourg, mais qui s'était aussi terminée sur un nul. Je n'aime pas me vanter, mais j'avais été extraordinaire dans ces trois matchs. Par après, Fabio Cappello (qui avait marqué pour la Roma) me l'a dit lui-même. Leur coach Helenio Herrera (NdlR : l'homme qui avait introduit le catenaccio ultradéfensif) me voulait à Rome." Et en 1972, Lubanski a gagné la médaille d'or aux JO de Munich. "C'était le début de l'époque dorée du football polonais. La veille de la demi-finale contre l'Union Soviétique (victoire 2-1), on avait entendu des coups de feu. Ce n'est que le lendemain qu'on a su ce qui s'était passé (NdlR : Des terroristes palestiniens avaient tué onze membres de la délégation israélienne et un policier allemand). Vous savez combien on a reçu pour notre médaille d'or ? Plus ou moins 300 €. Eh oui, on vivait dans le communisme… En nous qualifiant à Manchester United avec Zabrze en 1968, on aurait eu 100 dollars. Les Anglais ont reçu 10 000 dollars."
Le communisme:"J’étais inscrit comme min eur"
Lubanski pourrait écrire un livre sur la façon dont le communisme a influencé sa carrière. "Le football professionnel était interdit. Donc, on était inscrits comme mineurs et une fois par mois, on allait chercher notre salaire à la mine. Au club, on recevait à manger, des coupons et - quand ils avaient envie - des primes."
Chaque année, Gornik Zabrze était invité en Amérique du Sud pour des matchs amicaux. "J'ai notamment marqué trois buts à Colo-Colo au Chili. Nous étions accompagnés par un espion des services secrets. Chaque jour, il devait faire un rapport. Après un certain temps, on savait quelle était sa fonction, mais on ne lui en voulait pas. Il faisait son boulot."
Et puis, il y a eu son transfert raté au Real Madrid. "J'avais joué un match pour Unicef avec l'équipe mondiale. Amancio et Velazquez du Real Madrid me trouvaient les yeux fermés et vice versa. Ils m'ont demandé si je voulais venir jouer au Real. Je serais allé à pied, surtout quand ils m'ont dévoilé leur salaire. La semaine d'après, le président Santiago Bernabeu était en Pologne. Il avait presque un accord avec mon club pour 1 million de dollars, comparable à 100 millions maintenant. Il ne fallait plus que l'accord du ministère des Sports à Varsovie, mais ils ont refusé de le recevoir."
Lokeren et pas Monaco:"On a failli éliminer Barcelone"
La plus grande déception de sa carrière est sa grave fracture à la jambe, encourue lors d'un match contre l'Angleterre. "La première opération, en Pologne, s'est mal passée. J'ai été out pendant deux ans et je n'ai pas pu participer au Mondial 1974, où nous avons terminé troisièmes. (Il a atteint le deuxième tour en 1978.)" En 1975, il peut enfin partir à l'étranger. Les options : l'Atlético Madrid, Feyenoord, Monaco, le Beerschot et Lokeren. "Le prince Rainier m'a invité avec ma famille à Monaco pendant dix jours. Il m'a notamment montré sa collection de voitures. Mais il y avait déjà deux étrangers à Monaco, et la limite par match était fixée à deux. Vu ma grave blessure, je ne savais pas si je pourrais encore atteindre mon meilleur niveau. Et je connaissais le coach tchèque de Lokeren. Je n'ai pas regretté mon choix."
Lubanski a brillé au Daknam (Lokeren a terminé deuxième en 1981), surtout quand il a convaincu son club de transférer son compatriote Lato et le Danois Larsen. "On faisait trembler chaque défense. En 1976, on a failli éliminer Barcelone. On menait 2-0 à domicile. Un but de Cruijff en seconde mi-temps les a sauvés."
Le surnom de Lubanski était "le Cruijff de l'Est". "C'est un honneur. Cruijff est le meilleur joueur que j'ai affronté. Meilleur que Pelé et Garrincha."
Son après-carrière:"J’ai coaché Axel Merckx à Anderlecht et j’ai mis Radzinski à Ekeren"
Lubanski n'a pas chômé après sa carrière. "J'étais un des premiers à obtenir son diplôme d'agent. J'ai mis les frères Zewlakow à Beveren et Radzinski à Germinal Ekeren."
Il a été co-commentateur télé pendant plus de vingt ans (à trois Coupes du monde et deux Euros). Et il a été entraîneur : T2 et T1 à Lokeren et entraîneur des jeunes à Anderlecht. "Anderlecht m'avait déjà voulu comme joueur, en 1977. Le président de Lokeren avait répondu : 'Tu peux avoir tous mes joueurs, sauf Lubanski !'"
Au milieu des années 1980, Lubanski a accepté de coacher les jeunes à Neerpede. "Pendant une saison. À la demande de Constant Vanden Stock et Michel Verschueren. Un de mes joueurs était Axel Merckx, à 14 ou 15 ans. Il était arrière droit. Un jour, Eddy est venu me demander s'il avait le talent pour devenir pro. Je lui ai dit qu'il était un superbe gars, qu'il était discipliné et qu'il avait un certain talent mais qu'il serait trop court pour la D1. Eddy, avec qui je m'entends encore super bien - mon fils adore le cyclisme - m'a remercié. 'Enfin quelqu'un qui ose me dire la vérité (rires) !'"