Désabusé par son métier, l’avocat Sven Mary candidat à la tête d’Anderlecht: "Il est temps qu’on écoute des gens qui connaissent vraiment le football"
Le plus célèbre des pénalistes du pays nous parle de son épuisement face à un métier qu’il ne comprend plus toujours. Confessions.
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Publié le 04-02-2023 à 07h25 - Mis à jour le 04-02-2023 à 07h26
Sa réputation n’est plus à faire. Son nom a fait le tour du monde. Ex avocat de Salah Abdeslam, il est bien content d’être le grand absent du procès des attentats. À 51 ans, Sven Mary reste l’avocat le plus célèbre du pays. Roi de la procédure, le pénaliste qui jongle parfaitement entre les deux langues nationales affiche déjà 28 ans de barreau au compteur. Une carrière pour laquelle il a tout sacrifié en véritable passionné qui se dit pourtant aujourd’hui désabusé. Entretien.
VOUS NE VOUS ÊTES PAS ENCORE EXPRIMÉ SUR LE PROCÈS EN COURS DES ATTENTATS DE BRUXELLES. VOUS REGRETTEZ DE NE PAS Y PARTICIPER ?
“Aucunement ! Et je remercie du fond du coeur ceux qui m’ont conseillé de ne pas en être. J’ai suivi tous les rebondissements et une chose me révolte : contrairement au procès français, ici on parle de tout sauf des faits. Je reste convaincu que ce procès n’aurait pas dû se tenir face à un jury populaire. Les procès de terrorisme doivent se tenir comme en France, point la ligne. Avec tout le respect que j’ai pour le boulanger ou l’employé Belgacom, ce ne sont pas à eux à juger de tels faits. Dans nos métiers, nous sommes habitués à voir de telles images atroces, le boulanger quand il fera son pain, il verra défiler des morceaux de bras, de jambes et cela, ce n’est pas normal”.
ON VOUS SENT AMER FACE À LA JUSTICE, RIEN NE VA PLUS ?
“Je commence à être aigri et je n’avais pas envie de l’être dans ma vie. La justice fonctionne de manière caduque. On a un ministre qui promet beaucoup de choses mais qui a des priorités d’agenda électoral. Aujourd’hui, tout est focalisé sur l’opération sky. Le criminel qui n’est pas trop gourmand et qui sait rester discret a le champ libre pour le reste. Les avocats aiment parler de leurs succès mais force est de constater que le parquet fédéral adore le faire aussi désormais. On voit presque défiler des bandes-annonces de teasing sur certaines chaînes de télévision, toujours les mêmes, sur les opérations menées par le parquet fédéral. Je ne vais pas généraliser, ce n’est pas mon genre, mais certains magistrats du parquet fédéral, tant du nord que du sud du pays, ont créé une animosité entre parties au procès. Nous défendons tous un intérêt différent mais nous sommes pourtant tous des collaborateurs de la justice. Et j’ai l’impression que certains se permettent d’exercer désormais une sorte de pression sur les avocats. C’est une ambiance très malsaine”.
CE SONT MAGISTRATS FRUSTRÉS, QUI NE RESPECTENT PAS LES AVOCATS ?
“Ce sont des magistrats qui se disent être les nouveaux jusiticers et pour lesquels tous les moyens sont bons. Ils sont assoiffés de pouvoir et s’auto-octroient tout. On a beau venir se promener au palais avec 4 gardes du corps et faire bcp de cinéma, on n’est jamais infaillible. J’ai eu un entretien très enrichissant avec le procureur fédéral Frédéric Van Leeuw et je lui ai fait part de mon sentiment. Je le respecte et inversement et c’est ainsi que cela devrait fonctionner entre acteurs de la justice. Il y a certes, des cowboys dans mon métier mais il y en a, hélas, aussi au parquet. À la différence qu’ils ont du pouvoir”.
Il y a de nouveaux justiciers pour qui tous les moyens sont bons
VOUS OSEZ DIRE QUE CELA NE VA PLUS, QUE PEUT FAIRE LE MINISTRE DE LA JUSTICE ? FAUDRAIT-IL UNE INSTANCE DE CONTRÔLE AUTRE QUE LE CSJ SUR LES MAGISTRATS ?
“Quand certains magistrats font partie de ce conseil supérieur de la justice, cela devient difficile. Il faudrait peut-être un organe complètement indépendant ou composé de magistrats à la retraite, parce qu’ici, le système est incestueux. Lorsqu’un sentiment de partialité existe, même s’il n’est qu’à l’état de sentiment, dans un état de droit, il faut agir”.

VOUS PLAIDEZ POUR UNE RÉFORME DE LA DÉTENTION PRÉVENTIVE EN BELGIQUE…
“J’ai l’impression qu’on maintient un certain nombre de suspects en détention préventive parce que des quotas doivent être respectés. Moi, je ne suis pas pour qu’on libère tout le monde, loin de là. Mais si nous avons une loi, il faut l’appliquer et cette loi de 1990 est bafouée tous les jours. Passons dès lors au système français avec un juge des libertés qui peut déposer un mandat pour un an. Si l’avocat estime que des éléments ont évolué, il peut alors déposer une requête en liberté. En Belgique, on a des rendez-vous mensuels devant la chambre du conseil, des mises,… C’est une perte de temps pour tout le monde”.
LE STATUT DE REPENTI, VOUS Y CROYEZ ?
Il me fait beaucoup sourire. Il avait été créé pour les affaires non élucidées comme les tueries du Brabant et les affaires terroristes. Aujourd’hui, il n’est utilisé que dans deux dossiers, le footgate et le Qatargate. Deux affaires financières. Je crois par contre qu’il pourra servir à un moment donné aux narcotrafiquants expatriés au soleil. Face à une accumulation de peine ici, 10 ans par ci, 20 ans par là, etc. le gars qui a 40 ans et qui a bien vécu jusque-là, et qui risque d’être rendu aux autorités belges, prendra sans doute la décision de parler pour éviter de passer ses trente prochaines années en prison”.
"Je pense que je suis arrivé à la fin. Cela ne m'amuse plus. Je suis fatigué mentalement, même si je me sens bien physiquement"
LA BELGIQUE GAGNERA-T-ELLE SA GUERRE CONTRE LA DROGUE ?
“Il faut se dire une fois pour toutes que la cocaïne est entrée dans notre société comme la bière. C’est aussi simple que cela, il va falloir apprendre à vivre avec. Vous pouvez mettre 50 chars en rue, cela ne résoudra pas le problème. La guerre lancée à Anvers contre les narcotrafiquants, c’est un peu comme la Russie contre l’Ukraine. Les narcotrafiquants disposent de techniques modernes, ce qui leur donne un sacré avantage. L’opération Sky est une boîte de Pandore mais notre pays n’était pas prêt à un tel cadeau. Les policiers ne sont pas assez nombreux pour y faire face.”
ON VOUS SENT FORT DÉSABUSÉ…
“Je le suis ! Je pense que je suis arrivé à la fin. Cela ne m’amuse plus. Je suis fatigué mentalement même si physiquement, je ne me suis jamais senti aussi bien. Je travaille dans un cabinet qui a toujours son petit succès, composé de personnes de talent qui donnent tout et qui font la force de notre réussite. Mais la fatigue arrive quand on ne comprend plus et j’en suis là”.
FAN INCONDITIONNEL DE FOOTBALL, VOUS POURRIEZ VOUS RECONVERTIR DANS CET UNIVERS ?
“Oui, c’est un rêve. Pour être manager d’un club, il faut bien connaître le football et tout l’aspect juridique qui l’entoure. Quand je vois comme Anderlecht est géré aujourd’hui, oui je pourrais être candidat. Il est temps qu’on écoute des gens qui connaissent vraiment le football”.
LE BARREAU VOUS ÉCOEURE ?
“Un avocat anversois m’a dit un jour : ‘dans notre profession, il n’y a pas de confrères, il y a beaucoup de cons et peu de frères. Il avait raison. C’est un monde d’individualistes. Comme l’a dit Daniel Spreutels dans votre interview, cette époque n’est plus celle du respect connu jadis. Les pénalistes poussent comme des champignons et plaident en basket. Moi j’ai connu le respect de la cour. Il y a des jeunes qui sont bons mais j’en vois des médiocres aussi. Je suis désabusé en disant cela et je n’ai pas envie que ce sentiment me hante très longtemps”.
D’OÙ VOTRE DÉPART PROCHAIN AU PÔLE NORD ?
(Rires) “J’ai accepté ce projet pour une chaîne de télévision flamande et je suis ravi d’y participer. Je m’entraîne depuis trois mois pour cette expédition mais je ne peux pas vous en dire plus sur la date de diffusion”.
