François Delecour est de retour en Belgique : “Le WRC est devenu détestable”
Invité des Legend Boucles, le Français François Delecour ne mâche pas ses mots. Son interview exclusive est un vrai régal.
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Publié le 01-02-2023 à 09h03 - Mis à jour le 02-02-2023 à 10h37
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Quarante et un an après sa première participation aux Boucles de Spa, trente ans après son titre de vice-champion du monde, François Delecour (4 victoires, 19 podiums 214 scratchs en Mondial) est de retour en Belgique. Un pays proche pour le citoyen d’Hazebrouck qui a pour ainsi dire débuté chez nous et déjà participé à 12 rallyes sur nos spéciales avec 9 abandons et pour seul résultat notoire un podium au Rallye du Condroz 1998 au volant d’une Ford Escort WRC.
”Je sais, mes statistiques chez vous sont une véritable catastrophe”, se marre celui que l’on surnomme encore “Freine-tard”. C’est pourtant ici que sa longue histoire d’amour pour la discipline a débuté.
"Fan de Robert Droogmans et sa Ford Escort Gr.4."
”J’ai commencé comme spectateur à Ypres qui était l’épreuve la plus proche de la maison. J’allais voir tous les rallyes avec Anne-Chantal (Pauwels, sa première copilote) et je faisais des photos. Je me souviens d’Ypres, Spa, le Condroz, mais aussi le Limburgia ou Roulers. J’étais fan de Robert Droogmans et sa Ford Escort Gr.4 Belga. Je me souviens aussi de Patrick Snijers et la BMW Luigi, de Willy Plas sur sa Ritmo Gr.2. Grâce aux cigarettiers, il y avait un spectacle de dingue. Les plateaux étaient bien meilleurs qu’en France.”
Vous avez quasi débuté chez nous, à Spa en 1982
”Exact. Après nos débuts au Rallye Picardie en 1981 sur une Autobianchi A112, on voulait apprendre directement sur des grands rallyes. On a acheté une petite Peugeot 104 ZS et on s’est inscrits aux Boucles de Spa où l’on a cassé le moteur. On est revenus l’année suivante avec une Talbot Samba. Il y avait beaucoup de neige et on jouait dans le top 10 quand on a perdu le bouchon de notre réservoir. On est allés en piquer un sur une Peugeot de route, mais il n’y avait pas de prise à l’air et le réservoir a implosé. Du coup, notre jauge était faussée et nous sommes tombés en panne d’essence à quatre ou cinq spéciales de l’arrivée. Ensuite, on est allés à Ypres, donc j’ai disputé trois de mes quatre premiers rallyes chez vous.”

Et vos deux dernières apparitions se sont faites au volant de Porsche.
”Oui en 2008, j’ai déjà été invité aux Legend, mais on a hélas vite abandonné après la spéciale du circuit. Puis en 2015, j’ai encore participé à Ypres où j’avais terminé 19e sur une 997 GT. ”
Ce ne sera donc pas votre premier rallye historique…
”Non, j’ai encore disputé l’Aléria Historic l’an dernier avec une Escort. Je n’aime pas les épreuves de régularité. Je suis encore branché vitesse. Mais ici, on m’a dit qu’il fallait rouler à fond, comme en Corse. Je suis déjà propriétaire d’une Escort et j’ai fait monter une toute nouvelle Groupe 4 qui va m’être livrée dans quelques jours. J’adore la voiture, mais aussi ce type d’épreuve moins stricte. J’aime l’ambiance, la proximité du public, les camionnettes d’assistance au bord des routes avec l’échelle derrière pour monter les pneus sur le toit. Je viens de finir le Monte-Carlo moderne et c’est détestable tant il y a de contraintes. Les commissaires passent leur temps à mettre des amendes pour tout et rien et cela, dès les reconnaissances. Cette année, mon team a dû payer 1 000 euros pour avoir nettoyé son camion dans le parc. L’an dernier, je m’étais pris une prune car, quand j’avais crevé, j’avais oublié d’appuyer sur un bouton dans la minute. L’atmosphère est électrique. Tu as encore du plaisir quand tu es dans la caisse, mais pour le reste, ce n’est plus drôle du tout. En dehors, c’est la merde. Il y a plus de commissaires que de spectateurs. C’est affolant. Le parc d’assistance est désert. C’est d’une tristesse inouïe.”
Qu’est-ce qui fait encore rouler François Delecour à 60 ans ?
”La passion. J’ai envie de rouler. J’ai l’esprit de compétition. D’ailleurs, j’ai commencé en parallèle les courses de vélo. J’ai disputé récemment encore un petit rallye sur une Subaru obsolète, mais je me suis éclaté. J’essayais de mettre un max de R5 derrière.”
Vous venez donc à Bastogne pour être le sixième à inscrire votre nom au palmarès sur l’Escort de Christophe Jacob ?
“Bien sûr, c’est évident. Même si je roulerai avec ma femme, mon binôme, Priscille de Belloy, qui débutera pour ainsi dire comme copilote. Mais elle est très capable. C’était une très bonne pilote. On partage tout. Elle et moi, c’est du béton.”
"Aujourd'hui, on ne privilégie plus le talent, mais le pognon."

Vous venez de terminer 19e du Monte-Carlo, dixième en WRC2, pas trop loin des jeunes. Que vous manque-t-il aujourd’hui pour rivaliser avec eux ?
”Du roulage avec l’auto principalement. L’an dernier, j’ai disputé sept rallyes avec cinq voitures différentes. Et puis, je dois plus travailler mes notes sur les caméras embarquées. Car deux passages, c’est chaud, dangereux même, je trouve. Un troisième pour confirmer ne serait pas de trop. J’ai plus d’expérience qu’eux, certes, mais ils connaissent chaque virage par cœur. Avec des spéciales de plus en plus courtes en Mondial, il est devenu plus facile de mémoriser. Ils font des synthèses en regardant les “on-boards” d’Ogier, Rovanpera et Loeb. Ils notent tout ce qui passe à fond. Ils veulent rester le plus longtemps avec le papillon de gaz ouvert à fond et roulent le couteau sous la gorge. Gryazin a d’ailleurs bien failli sortir pour le compte à deux reprises. Dans ces conditions, quand je suis à moins d’une seconde au kilomètre, je suis content. Mais pour mon prochain WRC en Croatie, je vais m’y mettre plus intensément, aller plus encore au charbon. L’an dernier, avant sa participation au Mont-Blanc, Seb Loeb a commencé à visionner les spéciales quinze jours avant ! Il faut savoir se remettre en question.”
Loeb qui n’était pas au Monte-Carlo…
”Non, c’est fou. Comment passer à côté d’un mec pareil qui a encore gagné en 2022. Aujourd’hui, on ne privilégie plus le talent, mais plutôt le pognon.”
Vous êtes plutôt Loeb qu’Ogier ?
”Je connais plus Loeb, mais sportivement j’admire les deux. Ce sont deux monstres. Il n’y en a pas un meilleur que l’autre.”
Que pensez-vous du WRC actuel ?
”C’est dramatique. Au Monte-Carlo, pour le grand public, il y avait Ogier, un peu Neuville et moi. Les autres sont inconnus au bataillon.”
"Il faut virer ces WRC1 trop coûteuses. L'hybride, c'est de la foutaise ! L'avenir est au WRC2."
Quelle est la solution ?
”Il faut virer ces WRC1 devenues inaccessibles, car beaucoup trop coûteuses. Il n’y en a plus que 9, dont 5 ou 6 bien pilotées. Et l’étiquette hybride est d’une hypocrisie sans nom. Quand cela ne tombe pas en panne. C’est de la foutaise ! Pour la survie des rallyes, il faut passer au WRC2 avec juste un peu plus de puissance. Au Monte-Carl', il y en avait 45. Avec Citroën, Hyundai, VW, Ford, Skoda et maintenant Toyota, cela fait déjà six constructeurs présents dans la catégorie. Cela permettrait à beaucoup plus de pilotes et de marques de jouer la victoire absolue.”
Après Loeb et Ogier, est-on entré dans une ère Rovanpera ?
“J’en ai peur. Sauf si Hyundai se donne les moyens de riposter. J’adore Thierry Neuville. Je suis pro-Neuville à mort, mais je constate que la Toyota est toujours un peu en avance. Il lui manque toujours un peu en matière de bagnole, à votre compatriote. Pourquoi croyez-vous que Loeb soit passé à travers quand il est venu rouler pour les Coréens. Il manque quelque chose de fondamental sur la i20 WRC. Du coup, il est obligé de sur-attaquer en permanence pour compenser. Avec les risques que cela comporte. J’ai discuté avec Seb Ogier à l’arrivée du Monte-Carlo et Toy a encore trouvé des tas de choses durant l’hiver. J’espère me tromper, mais j’ai l’impression que cela va encore être dur pour Thierry, cette saison.”
"Je suis pro-Neuville à mort, mais il n'a pas la bagnole pour rivaliser avec Toyota."
Votre côté grande gueule a-t-il été un avantage ou plutôt un inconvénient dans votre carrière ?
”Cela m’a globalement porté préjudice. Mais je ne nourris aucun regret. Tu ne peux pas changer ta nature.”
Vous vous êtes assagi avec l’âge ?
”Pas trop…”
Comment a évolué votre relation avec Gilles Panizzi ?
”On n’a jamais été fâchés. Il y avait des tensions à l’époque, mais c’était normal. En compétition, vous n’êtes jamais trop pote avec votre équipier. Mais j’ai beaucoup d’affection pour Gilles et c’est réciproque, je pense. On se revoit avec plaisir aujourd’hui. Il vient d’ailleurs d’être papa.”
Vous avez deux fils en âge de débuter en compétition. Après Rovanpera et Solberg, va-t-on bientôt voir Delecour Jr. en rallye ?
”J’essaie de leur donner un petit coup de pouce, mais je n’y crois pas trop. Il n’y a plus de débouchés. À mon époque, nous étions une quinzaine à être payés. Aujourd’hui, il n’en reste plus que cinq ou six. Adrien Fourmaux par exemple n’est toujours pas devenu un véritable pro, c’est inquiétant. Mathys (16 ans) a testé une F4. Je crois qu’on va plutôt l’orienter vers le circuit. Elliot, le plus jeune, 15 ans, va peut-être débuter en Lettonie. C’est sans doute lui qui a le plus d’aptitudes pour le rallye.”
Qui a le plus de chances d’y arriver dans la nouvelle génération française ?
”Fourmaux ne parvient pas à régler sa vitesse. Soit il est trop rapide et il casse des autos, soit il ne va pas assez vite. Ford est en outre dans une mauvaise passe et il en fait les frais. Pierre-Louis Loubet a montré de belles choses. C’est un sacré gamin qui s’est fait un prénom. C’est peut-être lui, le plus proche de passer le cap, car il roule déjà en WRC1. Mais celui qui m’épate le plus en ce moment, c’est Johan Rossel. Il a la tête bien sur les épaules. Le problème est que même quand vous devenez champion en WRC2, cela ne vous assure plus de rien pour l’avenir. Regardez Lindholm…”
Le Dakar, cela ne vous tente-t-il pas ?
”J’y ai participé en 1989. Je faisais assistance rapide de Vatanen sur un Peugeot P4. Et je me suis fait casser par Jean Todt. Je me faisais ch… à mourir et j’ai fini par plier le châssis au milieu du Ténéré. L’année suivante, j’ai préféré le Paris-Pékin terminé au 14e rang sur un buggy de Gache. Mais j’étais trop jeune. J’aimerais bien redécouvrir cette discipline aujourd’hui, mais à part si vous êtes Sainz ou Loeb, il faut trouver un million d’euros.”
Sacré François, on ne le changera plus. Et c’est tant mieux. C’est bien comme cela qu’on l’aime, notre “Freine-tard”.
