Rencontre avec les managers de Nafi Thiam: "Nous étions tellement persuadées de son succès qu’il était prévu contractuellement"
Kim Vanderlinden et Helena Van der Plaetsen gèrent l’image de Nafi Thiam depuis dix ans.
Publié le 18-07-2022 à 07h47 - Mis à jour le 18-07-2022 à 19h52
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Sportive unique dont il faut faire fructifier les succès, Nafi Thiam est une personnalité dont l’image est gérée par l’agence We Are Many. Entretien avec ses fondatrices, Kim Vanderlinden et Helena Van der Plaetsen.
Nafi Thiam compte cinq sponsors : Nike, Red Bull, Richard Mille, Polestar et AXA. Y a-t-il une hiérarchie entre eux ?
H.V.d.P. : "Aucun partenariat n’est semblable à l’autre. Quand on rencontre un sponsor, on lui demande quels sont ses objectifs marketing, comment il souhaite utiliser Nafi dans le cadre du partenariat. Si c’est intéressant, on élabore quelque chose de personnel, d’unique pour ce partenaire."
K.V. : "L’idée est de trouver une synergie entre les objectifs de l’entreprise et les valeurs de Nafi. Il est important de construire un projet ensemble, en respectant les objectifs et les priorités de chacune des parties, afin que le partenariat soit authentique et de qualité."
Nafi reçoit-elle encore autant de demandes de sponsoring que quand sa carrière a décollé ?
K .V. : "Actuellement on reçoit quelques demandes par semaine. Au début, je parle de la période avant Rio, il y avait un équilibre entre, d’un côté, les partenaires qui nous contactaient et, d’un autre côté, nous qui devions être très proactives dans la recherche. Il y a eu un avant Rio et un après-Rio, bien plus marqué que l’avant-Tokyo et l’après-Tokyo. Son deuxième titre a eu moins d’impact à ce niveau-là. Mais il a renforcé son statut absolument unique, en tant qu’athlète double championne olympique."
Commercialement, Nafi a plus de valeur qu’il y a deux ans ?
K.V. : "Oui, c’est clair ! Et dans l’activation des partenariats on remarque qu’elle est plus souvent ‘top of mind’, on la choisit plus souvent pour des projets qui vont au-delà du sport."
C’est une réussite pour vous qui souhaitiez mettre en avant la femme derrière la sportive !
H.V.d.P. : "Oui c’est vrai. Et il est important qu’on continue à développer son image dans ce sens-là. C’est à elle de décider de la manière dont elle veut exprimer cet aspect des choses et cela dépendra de son développement personnel. Notre rôle est de l’aider à s’exprimer."
L’image que les gens ont de Nafi aujourd’hui est celle qu’elle a bien voulu montrer ?
K.V. : "Oui mais en en le disant ainsi, cela semble prémédité. L’image de Nafi reflète qui elle est, le développement qui a été le sien. Les partenariats ont évolué avec elle et sont proches de qui elle est. On n’a jamais voulu montrer une facette plutôt qu’une autre."
H.V.d.P. : "C’est une des raisons pour lesquelles cela fonctionne bien entre AXA et elle par exemple. Le slogan ‘know you can’ n’a pas été imposé, il traduit ce que Nafi pense, un moment donné, dans sa carrière. Dans leurs vidéos, elle fait passer des messages auxquels elle croit vraiment, comme le fait d’être bien entourée, parce qu’elle le vit. Elle n’invente rien. Et cela fonctionne avec ce que l’entreprise veut communiquer à ses clients. La force du message vient du fait que Nafi s’exprime avec ses mots."
Des sponsors comme Nike et Red Bull sont là depuis 2013. Ils ont eu du flair ?
K.V. : "Oui, mais c’est aussi une marque de confiance envers nous qui sommes allées les trouver en disant que Nafi avait un profil intéressant."
H.V.d.P. : "Les insiders savaient qu’elle avait un gros potentiel et beaucoup de talent. Mais, les premières années, nous avons fait un gros travail pour convaincre les partenaires commerciaux qu’elle était le futur de l’athlétisme. Même si chez les juniores, ou même jusqu’à l’Euro de Zurich en 2014, où elle a pris sa première médaille chez les seniores, il n’était pas encore très clair que sa carrière allait prendre une telle dimension."

Il faut toujours une petite part de chance dans ces cas-là ?
H.V.d.P. : "Oui mais nous étions hyper convaincues !"
K.V. : "C’est bizarre à dire mais ce qui lui arrive aujourd’hui correspond à ce que nous avions imaginé tout au début de sa carrière. "
H.V.d.P. : "Dans les premiers contrats, nous étions aussi convaincues qu’il fallait ajouter des bonus pour une première place aux JO. Nafi avait 17 ans, c’était ambitieux de dire qu’elle pouvait devenir championne olympique, à Rio ou à Tokyo, mais ce n’était pas inimaginable. Nous en étions tellement persuadées que c’était prévu contractuellement."
Nafi apparaît peu souvent en compétition. Est-ce un frein pour certains sponsors ?
K.V. : "Non. Nos partenaires ont choisi Nafi l’heptathlonienne. C’est un choix tout à fait conscient."
H.V.d.P. : "Il était inutile de penser qu’elle allait éventuellement se focaliser sur une seule épreuve un jour. On l’a expliqué aux partenaires potentiels, il n’y a donc pas de surprise."
Une présence sur les réseaux sociaux est-elle essentielle pour eux ?
H.V.d.P. : "Les réseaux sociaux sont omniprésents dans la société mais Nafi n’a pas le temps d’être une influenceuse à 100 % de son temps. Il faut trouver un équilibre entre le temps qu’elle peut accorder à mettre des choses en ligne et les exigences des partenaires."
Sa communication sur Instagram semble spontanée.
H.V.d.P. : "Oui ! Il n’y a pas de boîte de communication qui se cache derrière. Elle fait parfois des choses en collaboration avec ses partenaires, mais c’est toujours elle qui décide de ce qu’elle publie. Il n’y a que de cette façon que cela peut fonctionner, sinon ce n’est plus authentique, ce n’est plus Nafi."
K.V. : "C’est aussi une manière pour elle de raconter son histoire, de souligner ce qui est important pour elle, de montrer que le sport n’est pas toute sa vie. Elle a fait le choix de ne pas trop évoquer sa vie privée, elle communique sur ce qu’elle fait dans le sport, à l’entraînement ou en compétition."
H.V.d.P. : "Nafi ne fait pas des posts pour gagner des followers ou pour plaire. Si tu aimes, c’est bien, sinon tant pis."
Quels sont les grands atouts de Nafi aux yeux des sponsors ?
K.V. : "Elle est charismatique et hyper professionnelle, que ce soit dans un contexte de photoshoot, de vidéos, d’interviews, de projets où elle doit donner de son temps. Elle est efficace. Et elle arrive à toujours offrir quelque chose d’unique dans les messages qu’elle fait passer. Elle ne cherche pas l’attention ou la lumière mais ce qu’elle dit, est inspirant. Elle ne va jamais dire quelque chose qu’elle ne pense pas, ce serait contre-productif."
H.V.d.P. : "Les sponsors sont certains que ce sera un partenariat de qualité, qu’il y aura une valeur ajoutée et pas de perte de temps. Nafi peut faire de grandes campagnes globales, elle a cette qualité. Parce qu’elle a une opinion et qu’elle n’est pas qu’une sportive de haut niveau."

Quelle est votre plus grande fierté parmi les projets qui se sont concrétisés ?
K.V. : "Il est impossible de comparer ou de choisir. Ce qui nous rend fières, c’est d’avoir pu construire une histoire, ensemble, sur le long terme. Et que Nafi ait pu avoir pendant toute sa carrière des partenaires fidèles à ses côtés, chacun montrant une facette de qui elle est."
H.V.d.P. : "Nous sommes fières qu’elle ait fait plusieurs campagnes mondiales avec Nike, fières qu’elle ait fait non pas juste une affiche mais une campagne largement diffusée avec AXA, etc. Année après année, on arrive à progresser de la même façon que Nafi progresse dans son sport. Cela demande un très grand investissement de toutes les parties et quand tu arrives à de tels résultats, c’est très gratifiant !"
Les Mondiaux se déroulent à Eugene, le berceau de Nike. Comment ce partenariat a-t-il évolué pour Nafi ?
K.V. : "Nike la soutient depuis ses débuts. Au niveau des campagnes, c’est à partir de son titre olympique à Rio que l’entreprise a manifesté son intérêt. Vous le savez, c’est un équipementier qui a des médaillés d’or à la pelle à chaque championnat, donc le choix est très large. Après la première campagne, Nafi a alors été demandée pour d’autres."
H. V.d.P. : "Lors de la première campagne, à New York, son comportement était hyper pro, le résultat était de grande qualité. C’est son mérite à elle."
Combien de temps consacre-t-elle à ces activités sponsors ?
H.V.d.P. : "C’est son calendrier sportif qui décide. En période de stage ou de championnat, c’est souvent impossible mais hors saison elle consacre parfois quelques jours par semaine à ses partenaires. C’est la raison pour laquelle on travaille des mois à l’avance, tout doit être parfait le jour J."
K.V. : "Les partenaires veulent de la visibilité pendant la période des compétitions, lorsque Nafi est sur la piste, mais comme elle n’est pas disponible, c’est à nous d’anticiper tout cela."
H.V.d.P. : "Son agenda est bien chargé, et ce n’est pas possible de demander une interview pour la semaine suivante. On a besoin de temps pour planifier, regrouper certaines demandes. La préparation est très importante. Mais le jour où elle est disponible, elle le sera entièrement."
K.V. : "Notre priorité est que tout ce qui sort sur elle corresponde vraiment à qui elle est, à la manière dont elle voit les choses. C’est essentiel d’avoir du temps en amont afin d’arriver à un résultat authentique qui reflète sa personnalité."
Travaillez-vous déjà sur 2023 ?
H.V.d.P. : "Oui, et même 2024 ! Pour tous les athlètes, on travaille déjà sur les Jeux olympiques. On ne peut pas réfléchir uniquement à l’année suivante quand on travaille sur le long terme. On a l’habitude de travailler en cycles olympiques. C’est ce qu’il y a de plus logique dans notre sport. Notre ambition est de réaliser des partenariats au long terme. Le court terme est beaucoup plus rare."
Peut-on dire aujourd’hui que Nafi gagne bien sa vie ?
H.V.d.P. : "Pour une athlète, elle gagne très bien sa vie. Les montants sont bien sûr différents de ceux qui circulent dans le football, le tennis ou le cyclisme. Même par rapport à une star comme Bolt, c’est autre chose. L’heptathlon, c’est différent du sprint où l’on peut gagner énormément de médailles grâce aux relais. C’est surtout grâce aux sponsors qu’elle vit bien. En compétition, elle ne gagne presque rien ! La majeure partie de ses revenus viennent de ses sponsors. Le prize-money ne rapporte pas grand-chose : les petites compétitions ont peu d’argent à offrir. On demande une petite prime de départ mais on ne peut pas demander des montants exorbitants. Il ne faut pas oublier dans quel contexte se trouve l’athlétisme. Gagner de l’argent est de plus en plus compliqué, et c’est aussi la réalité de Nafi. Mais pour elle c’est un peu moins grave car elle a de bons sponsors."