Pourquoi ça coince pour Jonathan Sacoor ? “Il ne s’entraîne pas avec l’intention de faire de grandes choses”
L’ancien champion du monde juniors du 400m stagne depuis longtemps au niveau chronométrique. Pour Jacques Borlée, le problème est surtout d’ordre mental. “Le haut niveau, c’est avant tout une attitude.”
Publié le 25-02-2023 à 07h29
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Depuis qu’il a remporté le titre de champion du monde juniors en 2018, avec un superbe chrono de 45.03 sur 400m, Jonathan Sacoor se sait très attendu. Le sprinter de Hal devait s’inscrire, au propre comme au figuré, dans le sillage des frères Borlée, ses partenaires d’entraînement, et devenir assez rapidement l’un des meilleurs spécialistes au monde sur le tour de piste.
Près de cinq ans plus tard, une période au cours de laquelle il n’a pas réussi à battre son record personnel, ni en outdoor ni en indoor (46.95), le cas de ce grand espoir de notre athlétisme interpelle. D’autant que son nom ne figure pas dans la sélection pour les championnats d’Europe en salle d’Istanbul la semaine prochaine. Or Jacques Borlée avait indiqué compter sur lui en début de saison.

”J’ai passé quelques mois au Chili (Ndlr : le pays de sa compagne, Martina Weil, avec qui il vit désormais à Bruxelles) à l’automne et depuis mon retour en Belgique, ça avance de mieux en mieux mais c’est un peu trop tard pour l’Euro”, constate l’athlète brabançon, que nous avons rencontré ce vendredi à Louvain-la-Neuve. “Je ne suis pas vraiment un coureur d’indoor, je ne peux pas utiliser mes qualités naturelles, disons, avec une grande foulée. Ma condition est bonne mais il me manque les derniers pourcentages pour la compétition. Je manque de résistance en vitesse maximale. En muscu, je suis bien, je bats mes records. Au niveau de la très haute intensité, je suis toutefois un peu en retrait. J’ai souffert d’une petite contracture dernièrement et on a pris la décision de ne pas forcer, de ne pas risquer une blessure.”
Pour l’instant, il s’entraîne avec son corps, mais pas avec sa tête. Il doit réagir !
Son entraîneur, Jacques Borlée, précise : “Quand il est rentré, j’ai dû serrer les boulons. Son corps n’était pas prêt à encaisser les charges d’entraînement. Je lui ai dit : ‘arrête, tu vas te foutre en l’air.’ Il a disputé l’une ou l’autre course (Ndlr : un 200m en 22.22 et un 400m en 48.63) mais comme il n’était pas prêt, mentalement, il a fait n’importe quoi. Il faut absolument que j’arrive à le mettre dans les bonnes dispositions. Pour l’instant, il s’entraîne avec son corps, mais pas avec sa tête. Il doit réagir !”
Mental et attitude
Le problème serait donc surtout d’ordre mental ? “Physiquement, Jonathan a bien évolué, il est plus puissant qu’avant, mais il n’est pas là mentalement et il faut que ça change, lance Jacques Borlée. Il ne s’entraîne pas avec l’intention de faire de grandes choses. Ce garçon a un talent monstre mais le sport de haut niveau, c’est avant tout une attitude. C’est créer un contexte et c’est être tous les jours à 100 %. Regardez mes fils, regardez Nafi Thiam, ils ont un focus de dingue ! Est-ce qu’il a perdu quatre ans ? Absolument. Pour moi, il n’a pas su transférer ses aptitudes physiques dans son mental. Il ne ‘sent’ pas ce qu’il fait et ça pose problème. J’ai des discussions très dures avec lui et j’espère qu’il va comprendre.”

L’entraîneur bruxellois, dont tout le monde connaît le niveau d’exigence, reproche à Jonathan Sacoor d’aimer un peu trop les paillettes et les médias, de ne pas vivre à 100 % pour son sport, de ne pas avoir tiré le groupe d’entraînement vers le haut et de ne pas appliquer certaines stratégies bien définies.
Je reconnais que j’ai fait des erreurs, que j’ai pris quelques décisions qui n’étaient peut-être pas les meilleures.
L’intéressé, qui s’est bâti un beau palmarès avec le relais 4x400m, comprend certains de ces reproches tout en précisant que tout n’était pas noir non plus ces dernières saisons.
”J’ai d’abord égalé mon record dès 2019, à Doha, puis j’ai couru 45.17 aux championnats d’Europe espoirs en 2021, puis 45.41 aux Jeux de Toyko la même année. Tout cela pour dire que je n’étais pas très loin de mon meilleur temps, qu’il y a eu du bon aussi, plaide Jonathan Sacoor. Mais je reconnais que j’ai fait des erreurs, que j’ai pris quelques décisions qui n’étaient peut-être pas les meilleures. Aux États-Unis, je n’étais pas dans le bon. Et puis il y a eu de la malchance aussi : quelques blessures, le coronavirus que j’ai contracté l’an dernier. Cela explique certaines choses aussi.”

Le sprinter de 23 ans souligne par ailleurs que “quand tu fais un gros chrono très jeune sur 400m, tu ne peux pas attendre de faire mieux chaque année.” Et glisse : “Il aurait été plus facile pour moi de courir en 45.50 en 2018 puis un peu plus vite chaque année, pour qu’on me dise ‘ah ! c’est bien, tu progresses constamment.’ Mais j’ai fait une course parfaite à Tampere. J’étais jeune, je ne me posais pas trop de questions…”
Christopher Taylor, le Jamaïcain qu’il avait devancé ce jour-là, est, pour sa part, déjà descendu cinq fois sous les 45 secondes depuis lors, portant son record à 44.63, et il a disputé la finale olympique (6e) puis la finale des championnats du monde (7e) en individuel ces deux dernières années.
Je me cherche encore en tant qu'athlète, je cherche qui je suis réellement."
”Je travaille pour que ce type de résultat sorte aussi chez moi”, soutient Jonathan Sacoor, qui a accumulé une belle expérience internationale. “Malgré cela, et malgré le fait que je sois un athlète professionnel, je me cherche encore. Je cherche quel style d’athlète je suis réellement, je dois encore voir ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas pour moi. Quand je vois Kevin Borlée, il ne commet jamais d’erreur, il fait tout à la perfection. Mais il vous dira aussi que cela prend des années. C’est un long processus, parfois frustrant, mais qu’il faut respecter. Je sens que j’y arrive, progressivement. Le bon côté, c’est que je n’ai que 23 ans…”
Un puzzle compliqué
Et aussi qu’il est particulièrement bien entouré. “Jacques me donne confiance, il croit en moi, comme le reste de l’équipe d’ailleurs. Je leur en suis très reconnaissant. On essaie de mettre les dernières pièces du puzzle en place, mais c’est un puzzle compliqué”, conclut Jonathan Sacoor.