Le phénomène Femke Bol expliqué par son coach suisse Laurent Meuwly : “On a beaucoup travaillé sur l’efficacité de sa foulée”
Entraîneur national aux Pays-Bas en poste depuis 2019, Laurent Meuwly a permis à Femke Bol de s’épanouir totalement dans son sport.
- Publié le 08-09-2023 à 13h14
- Mis à jour le 08-09-2023 à 13h15
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Grande animatrice des Mondiaux de Budapest, de sa chute avec le relais mixte des Pays-Bas à sa spectaculaire remontée avec le relais féminin en passant par un brillant succès sur 400 m haies, Femke Bol sera l’une des têtes d’affiche du Mémorial Van Damme ce vendredi. Avec élégance et simplicité, la Néerlandaise de 23 ans s’affirme toujours plus comme l’une des stars du circuit international. Laurent Meuwly, le coach suisse qui l’entraîne à Papendal, a accepté de décortiquer pour nous le phénomène Bol.
Revenons d’abord sur les Mondiaux. Comment Femke a-t-elle vécu cette chute dès le premier week-end de compétition ?
”Ce n’était évidemment pas le début que nous avions imaginé. Nous voulions frapper un grand coup en remportant le titre en relais mixte et en battant le record du monde. Gagner avec la manière, c’était l’objectif. Le scénario était idéal jusqu’au dernier passage de témoin où Femke, concentrée sur le chrono, a démarré très vite et n’a plus calculé l’Américaine derrière elle. Quand elle a entendu la foule s’enflammer, elle s’est dit que l’équipe était en train de réaliser une grosse perf, puis dans les derniers mètres elle a été surprise de sentir sa concurrente revenir. D’habitude, en deux pas, elle est capable de retrouver son rythme et d’en remettre une couche, mais là, sous l’effet de l’acide lactique combiné à ce départ très rapide, elle n’en a pas été capable et elle a perdu l’équilibre. Si on avait couru pour gagner, sans viser de chrono, il n’y aurait pas eu de problème.”
A-t-elle tourné la page facilement ?
”Non, cela a été dur. Il y a la déception du résultat, qui affecte toute l’équipe, mais aussi des questions comme : suis-je réellement en forme ? Heureusement, Femke a reçu le soutien de tous les autres relayeurs, c’était important pour elle à ce moment-là, et j’ai dû de mon côté faire un travail de communication, de préparation mentale pour les courses à venir. Je l’ai rassurée sur le fait qu’elle avait fait de super entraînements, mais il a quand même fallu un petit temps pour digérer tout cela. C’est un processus par lequel il faut passer pour rebondir ensuite, principalement en se concentrant sur ses points forts.”

Les séries du 400 m haies lui ont-elles déjà permis de retrouver confiance ?
”Pas exactement. Je lui avais demandé de partir en 14 foulées sur les cinq premières haies, contre sept normalement. C’est une consigne qui l’a obligée à se concentrer sur quelque chose de précis, c’était le but, mais qui ne lui donnait pas encore la garantie d’être en forme. Ce n’est qu’à partir de la demi-finale qu’elle a été complètement rassurée.”
Aurait-elle pu courir plus vite que 51.70 en finale ?
”Les deux courses avec le mixte ne la mettaient pas dans des conditions idéales. Avant le meeting de Londres, où elle bat le record d’Europe en juillet, elle avait bénéficié de trois semaines d’entraînement. À Budapest, signer un chrono de 51.70, l’un des meilleurs de l’histoire, à l’issue d’une course propre, c’est une belle manière de devenir championne du monde. Surtout après ce qui s’était passé.”

Comment a-t-elle digéré cet enchaînement de courses ?
”Après les championnats, où elle a couru sept courses en neuf jours, elle était bien sûr très fatiguée. À présent, cela va mieux ! Au début de cette semaine, à Bellinzone, où les virages sont très serrés, elle a réussi à émerger nettement en fin de course face à la n°2 mondiale. Elle a fait le travail ! Vous savez, Femke adore courir, elle aime profondément la compétition. Elle y prend beaucoup de plaisir, il suffit de voir son sourire, cela lui réussit bien. Cette année, elle a couru moins que les deux saisons précédentes. L’idée était d’avoir trois semaines d’entraînement entre chaque meeting Diamond League à son programme (Florence, Oslo, Lausanne et Londres) afin qu’elle puisse travailler sur son nouveau rythme de course.”
Avec succès, puisqu’elle a survolé son épreuve tout au long de la saison.
”Sans snober les autres concurrentes, elle avait une marge d’une ou deux secondes à chaque course, donc il faut lui trouver des challenges pour la motiver et lui permettre d’avancer. Inconsciemment, une certaine lassitude peut s’installer. J’essaie généralement de mettre l’accent sur un objectif bien précis à la fois pour la stimuler.”

Le public, les médias attendaient ce duel contre Sydney McLaughlin qui n’est jamais venu.
”C’est regrettable qu’il n’y ait pas davantage de duels avec Sydney. Ce serait bon pour notre sport, cela permettrait de créer des histoires pour le public. Mais elle a fait des choix différents et cela ne doit pas nous perturber. De notre côté, nous travaillons tous les jours à réduire l’écart qui nous sépare du record du monde et à être prêts pour le jour où la confrontation aura lieu.”
Le grand objectif de l’an prochain sera bien sûr d’aller chercher le titre aux JO.
”Oui, c’est l’or olympique, mais on ne focalise jamais sur la finalité, plutôt sur les moyens d’y parvenir. Que va-t-on mettre en place pour courir sous les 51 secondes ? Techniquement, que peut-on améliorer ? Quelle est la meilleure stratégie de course ? On va chercher avant tout à améliorer ces différents paramètres. Si tu penses tous les jours à la médaille d’or olympique, mentalement, c’est très difficile. En plus, cette approche axée sur le processus correspond bien à la personnalité de Femke qui est très analytique, très précise. Elle aime avoir un plan A, mais aussi un plan B et un plan C. On a vu à Budapest que quand elle était dans l’émotion, cela ne se passait pas trop bien…”

Comment l’avez-vous convaincue, en 2019, de passer au 400 m haies ?
”À l’époque, elle faisait du 400 m plat. Elle était assez endurante, avait une bonne génétique, de longues jambes. Mais dans cette épreuve qui n’est pas difficile techniquement et où la part de génétique est importante, la concurrence est énorme. Chaque année, de nouvelles filles arrivent. Je l’ai donc orientée vers le 400 m haies, où il y a davantage de stratégie, de technique, de tactique et qui correspond mieux aux Européens. Elle a été réceptive. Ce fut ensuite un long travail : il a fallu apprendre à franchir les haies, à les passer des deux jambes, etc. Femke est toutefois une très bonne élève, qui apprend vite et avec qui il est facile de travailler. Sa condition de base était aussi très bonne, ce qui a facilité les choses. On a juste dû stabiliser son endurance et travailler sur des paramètres de force et de vitesse. Elle a franchi différents caps assez vite.”
Femke dégage force et puissance tout en trouvant du relâchement dans l’effort ultime.
Ce qui frappe quand on la voit courir, c’est la facilité apparente qu’elle dégage.
”Il y a beaucoup d’efficacité dans sa foulée, elle ne court pas du tout en force alors qu’en musculation, elle est capable de faire des épaulés avec 100 kg. Donc, de la force, elle en a ! Et de la vitesse aussi, avec un chrono de 22.88 sur 200 m. Sa palette est vraiment large : elle détient aussi la meilleure performance de l’histoire en salle sur 500 m et elle serait capable de courir facilement sous les 2 minutes sur 800 m. Sur 400 m haies, Femke dégage force et puissance tout en trouvant du relâchement dans l’effort ultime. Il est vrai qu’on a beaucoup travaillé sur son économie de course.”
Le passage de 15 en 14 foulées a été, de ce point de vue, très précieux.
”Oui, elle franchissait les obstacles à très haute fréquence, mais on s’est aperçu, à Tokyo puis à Eugene, qu’elle n’avait plus, en fin de course, la même énergie qu’elle avait sur le plat. Cela demandait beaucoup à son système nerveux. On a donc travaillé à une foulée plus efficace.”

Vous avez déjà sensiblement réduit l’écart alors que le record du monde de McLaughlin semblait parti pour durer.
”50.68, c’est encore loin, mais ce n’est pas impossible pour l’an prochain. Ce qui est intéressant, c’est de constater que le deuxième meilleur chrono de McLaughlin est de 51.41. Or c’est proche du temps de référence de Femke. Sa réussite actuelle récompense les choix clairs que l’on a effectués alors que McLaughlin s’est, elle, un peu éparpillée en visant un record du monde du 400 m qui s’est révélé hors de portée.”
Son record du monde en salle du 400 m (49.26) est, à mes yeux, sa plus grande performance à ce jour.
Quel est, pour vous, le plus grand exploit que Femke Bol ait réalisé dans sa carrière jusqu’à présent ?
”Le triplé de l’Euro à Munich en 2022 (NdlR : 400 m, 400 m haies, 4x400 m), qui n’avait jamais été réalisé, était spécial. Mais en termes de performances pures, trois sont au-dessus du lot. Son record du monde en salle du 400 m (49.26), qui tenait depuis plus de 40 ans, son record d’Europe du 400 m haies (51.45) qui équivaut au 3e temps de l’histoire, et enfin la meilleure performance mondiale de tous les temps sur 300 m haies (36.86), un chrono que beaucoup de filles aimeraient pouvoir courir.”
Quelles sont vos attentes pour le Mémorial Van Damme ?
”D’une part, une victoire pour prolonger son invincibilité en Diamond League qui dure depuis 2020. Et d’autre part, une course la plus rapide possible. On veut rester compétitifs à Bruxelles et à Eugene contre les meilleures du monde. Un chrono en 52 bas ou en 51 secondes serait très satisfaisant. Et ce sera peut-être même un peu plus rapide si les conditions sont parfaites.”