Les agents dans le sport (1/8), Alex De State: ”On ne peut pas vivre du métier d’agent dans le hockey”
Toute cette semaine, nous vous proposons une plongée dans le monde des agents. Premier épisode avec Alex De State s’est constitué une belle écurie avec trois Red Lions : les frères Van Doren et Arthur De Sloover.
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Publié le 06-02-2023 à 17h28 - Mis à jour le 07-02-2023 à 10h23
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L’argent ne coule pas à flots dans le hockey. Un hockeyeur peut vivre décemment de son sport s’il joue au sein de l’élite et plus encore s’il est Red Lions. Pour ajouter un peu de beurre dans les épinards, il peut se payer les services d’un agent afin de dénicher des sponsors privés.
Tous les joueurs de Division Honneur ne sont pas bankables. Loin de là. Seuls les Red Lions ont pris une petite place dans le monde du sport business. Loin des standards du football, du golf, du tennis ou encore du basket-ball.
Depuis 2014, Verhulst Event a mis un pied sur ce terrain délicat. Hockey et rentabilité ne font pas forcément bon ménage. Tom Boon avait ouvert la voie à un star system, mais il était un cas unique. Son nom est devenu une marque. Très vite, le beau gosse des Red Lions s’est attiré une petite dizaine de marques en plus de ses contrats avec son club et l’équipe nationale.
"Nous avons accepté ce rôle, car nous faisons tous partie du hockey depuis toujours."
Chez Verhulst Event, il a ouvert une voie. Vincent Vanasch et Aisling D’Hooghe ont emboîté le pas. Le passé de hockeyeur de Thierry Verhulst n’était pas étranger à ce partenariat. “Nous avons accepté ce rôle, car nous faisons tous partie du hockey depuis toujours”, nous expliquait en 2018 Alex De Chaffoy, associé de Thierry Verhulst.
Quelques médailles d’or plus loin, les Red Lions sont tous devenus des produits avec une visibilité et donc une rentabilité différentes. Au début, les parents géraient en bons pères de famille les intérêts de leurs fistons. Mais être agent ne s’improvise pas. À l’heure actuelle, ils ont tous ou presque engagé un professionnel pour gérer non seulement leur image, mais également leurs sponsors. Souvent, ces agents sont eux-mêmes issus du giron.
Parmi eux, Alex De State, ex-manager au Beerschot, était séduit par cette mission si floue. L’idée a germé durant la préparaton des Red Lions pour les Jeux olympiques de Rio en 2016. “J’en avais parlé avec le T2 de l’époque, Philippe Goldberg”, commence Alex De State.

Dans la foulée, les Lions disputaient leur première finale olympique. Les grandes marques commençaient à jeter un regard curieux sur le phénomène Lions. “Moi, je voyais qu’ils prenaient de plus en plus de place dans les médias. L’opportunité commerciale sautait aux yeux. Elle demandait un encadrement clair.”
Mais l’idée a été remisée au placard pour quatre années. Le souci, c’est que le hockey ne brassait pas assez d’argent. Les Red Lions ne pouvaient payer les services d’un agent avec leur salaire en club et en équipe nationale. “Moi, je pars du principe que tout travail mérite salaire. Le model business n’était pas intéressant.”
Pas encore. Lors de la pandémie de coronavirus, tout le monde sportif a été mis à l’arrêt. En juillet 2020, Alex De State se retrouve sur une terrasse à la mer du Nord. À ce moment, les Red Lions ne s’entraînent plus, car les JO sont postposés. “Je buvais un verre avec Harisson Peeters. Arthur Van Doren nous a rejoints. Moi, je le connaissais de loin”, explique De State qui travaille dans la décoration d’intérieur en tant qu’indépendant. La discussion part alors dans tous les sens. Arthur Van Doren loue les qualités du manager du Beerschot qui explique son job. De fil en aiguille, les deux hommes se dévoilent. “Il avait été approché par des agents, mais il était freiné par leur sens du business. Il estimait n’être vu que comme un nom. Il cherchait un agent qui vivait pour le hockey.” Les deux hommes venaient de se trouver par hasard sur une plage à Knokke.
"L’opportunité commerciale sautait aux yeux. Elle demandait un encadrement clair."
Deux semaines et quelques coups de fil avec ses parents plus tard, Alex De State créait Moskyto Sports Management et signait un contrat de collaboration avec Arthur Van Doren, meilleur joueur du monde selon la FIH en 2017 et en 2018. “Son papa a prononcé une phrase qui m’a beaucoup touché : ‘Maintenant, j’ai de nouveau envie d’être papa quand j’irai le voir jouer.’ Il était fatigué d’être sans cesse approché pour parler d’échanges.”
Dans la foulée, il a pris sous son aile Loic Van Doren. “Arthur De Sloover m’appelait aussi quelques semaines plus tard pour me demander pourquoi je ne bossais pas avec lui.” En quelques mois, il venait de constituer un pool avec trois Red Lions sans fermer la porte à d’autres. Cette activité reste complémentaire à son autre passion, la décoration d’interieur.
”Aujourd’hui, un agent en hockey ne peut pas vivre de cette activité. Si d’autres joueurs veulent travailler avec moi, je ne ferme certainement pas la porte.” Il ne se voit pas conquérir d’autres disciplines où les perspectives financières sont plus réjouissantes. “Je suis juste présent dans le monde du padel avec Helena Wyckaert. Là aussi, ce sport n’est pas encore bankable. Le football ? Non, c’est un monde à part.”
Alex De State n’est pas souvent en contact avec ses homologues. Il pointe The Agency qui réalise un gros boulot dans différents sports, dont le hockey, avec notamment Gauthier Boccard et deux ou trois bureaux. “Nous sommes encore très peu.”

”Les enveloppes sous la table, c’est fini aujourd’hui”
Alex De State travaille sur deux axes de négociation : les contrats avec les clubs et ceux avec les sponsors.
Comme dans les autres sports, l’agent doit gérer tout ce qui concerne le hockey en dehors d’un terrain afin de mettre son client dans les meilleures conditions. “Jamais je ne leur dirai comment ils doivent jouer. J’irais même plus loin, jamais je n’interviendrais dans le choix d’un éventuel nouveau club. Je reste loin de la question sportive.”
Si les frères Van Doren et Arthur De Sloover ont signé une collaboration avec Alex De State, c’est que tout le monde s’y retrouve financièrement. Le travail s’articule sur deux axes : le contractuel et le commercial. Il s’approche de la table des négociations lorsque les contrats s’écrivent. “Je les assiste pour bien relire, défendre leurs intérêts et poser les bonnes questions. Eux, ils n’ont plus qu’à signer. J’ai notamment géré la signature d’Arthur De Sloover du Beerschot vers Oranje Rood, celle de Loic Van Doren de Den Bosch vers les Dragons et enfin le renouvellement du contrat d’Arthur Van Doren à Bloemendaal.”
"Au hockey, un joueur n’appartient pas à un club."
Un premier constat s’impose. Tous les joueurs sont protégés par un contrat. Deuxième constat. Les contrats sont de plus en plus précis. “Tout se professionnalise. Avant, on écrivait sur un carton de bière durant la troisième mi-temps. Il y avait des enveloppes qui passaient sous la table. Aujourd’hui, tout ça, c’est fini. Au hockey, un joueur n’appartient pas à un club. S’il veut changer demain de club, tout se passe bien dans 99 % des cas.”
Les clubs profitent des retombées liées au statut des Red Lions, mais elles restent difficilement chiffrables. La présence d’un De Sloover au Beerschot a certainement permis au Bee d’attirer de grands joueurs. Les jeunes, aussi, auront été boostés par sa présence. Là aussi, la situation évolue. Désormais, certains contrats mentionnent une indemnité en cas de départ précoce.
”Il faut savoir que les clubs paient beaucoup pour des joueurs qui ne sont pas toujours disponibles.” Prenons l’exemple d’un Red Lion. Il reçoit l’essentiel de sa rémunération grâce au club. Pourtant, il se rend à l’entraînement avec l’équipe nationale quatre jours par semaine.
”L’effort des clubs est considérable. Certains présidents commencent à retirer des rémunérations les matchs où le joueur est absent à cause de son équipe nationale. Pour les Argentins, les Français et autres Espagnols, il n’est pas rare que la Pro League empiète sur la Division Honneur.”
"Un Red Lion gagne bien sa vie au moment présent, mais les montants gardent une dimension humaine."
Tous les montants restent jalousement secrets. Un Red Lion peut espérer un montant annuel en club démarrant à plus ou moins 25 000 euros, mais la somme peut grimper à 60 000 euros, voire plus. Il faut y ajouter les émoluments avec l’équipe nationale – barèmes fixes qui vont de 800 à 1 500 euros brut par mois – et les apports privés. “Un Red Lion gagne bien sa vie au moment présent, mais les montants gardent une dimension humaine. L’argent ne peut pas être un moteur. Je dirais que pour certains Red Lions, 60 % de leurs rémunérations proviennent du club, 25 % des Red Lions (environ 1 000 euros net) et 15 % de leurs partenaires privés.”

”Vendre l’image d’Arthur Van Doren est plus facile”
Le défenseur de Bloemendaal est suivi par 23 600 personnes sur Instagram.
L’agent peut faire la différence sur un autre terrain : celui du sponsoring. Le hockey jouit d’une image très positive, mais également très limitée. Les sponsors privés n’ont aucune chance de trouver place sur le maillot.
”La porte est fermée ce qui rend les discussions plus compliquées. Si je prends l’exemple de Delen Private Bank. Elle est présente sur la tenue de Thomas Pieters. Avec Loic Van Doren, le hasard fait qu’elle est le sponsor du Dragons où joue Loic Van Doren. En revanche, pour son frère Arthur, Delen ne peut figurer sur le maillot”, détaille Alex De State.
À défaut de maillot, les sponsors ont investi une autre aire de jeu avec les réseaux sociaux. Les hockeyeurs jouissent d’une belle visibilité dans une niche assez ciblée et fortunée. En accord avec ses trois poulains, Alex De State a déjà réuni une belle brochette de marques. Arthur Van Doren s’appuie sur cinq partenaires : Osaka (son matériel), Red Bull (apport financier), Delen Private Bank (apport financier), BMW Jorssen (sa voiture) et Rituals.
Son frère Loic, qui cumule la difficulté d’être gardien et donc de porter un casque, a signé avec Osaka, Delen Private Bank et Brabo. Quant à Arthur De Sloover, il collabore avec Mazda MC Motors, Vitamin Well, Reboots et Adidas. “Nous visons toujours une campagne à long terme (deux ans). Le hockey garde une image élitiste ce qui attire un certain type de profils commerciaux. Le hockey reste un petit sport. Les succès des Red Lions ont beaucoup aidé. Souvent les sponsors avaient déjà un lien personnel avec le stick.”
Ces marques attendent que les joueurs soient présents sur des événements avec des clients, sur des plateaux pour tourner des spots et sur les réseaux sociaux. Arthur Van Doren est suivi par 23 600 personnes sur Instagram par exemple. “Sur les réseaux, la visibilité est quotidienne. Pour le reste, on parle de quelques rendez-vous par an. Un calendrier de sportif de haut niveau n’est jamais figé ce qui m’oblige à m’adapter en permanence.”