19 octobre 1968: Serge Reding, le poids d'une médaille
Il y a 50 ans, le 19 octobre 1968, lors des JO de Mexico, la Belgique remportait une médaille d’argent, grâce à un haltérophile ardennais né à Bruxelles : Serge Reding. Un sportif au destin tragique...
Publié le 19-10-2018 à 15h28 - Mis à jour le 19-10-2018 à 15h52
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Il y a 50 ans, le 19 octobre 1968, lors des JO de Mexico, la Belgique remportait une médaille d’argent, grâce à un haltérophile ardennais né à Bruxelles : Serge Reding. Un sportif au destin tragique...
Serge Reding n'a pas l'aura d'un Eddy Merckx, d'un Jacky Ick ou d'un Paul Van Himst. Pourtant, l’haltérophile ardennais fut l’un des plus grands sportifs belges du XXe siècle, dans une discipline certes confidentielle en nos contrées. Pendant quelques années, Serge Reding sortit son sport de l’anonymat, par ses records du monde et d’Europe, ses titres et, surtout, sa médaille d’argent olympique. C’était le 19 octobre 1968, il y a cinquante ans, à Mexico. Ce jour-là, le natif d’Auderghem élevé à Herbeumont entra dans l’histoire du sport belge. La sienne prit fin mystérieusement, à Manille, un jour de 1975. Retour sur un destin tragique, mais exceptionnel... “Si je pouvais gagner une médaille...”
19 octobre 1968, grande date de la carrière de Serge Reding, qui va effacer la première, huit ans auparavant, celle de son tout premier record national. Loin d’Herbeumont, le petit village ardennais dont il aimait particulièrement les bois qui bercèrent sa jeunesse, loin de l’Athénée de Woluwe-Saint-Pierre, et la salle qui accueillait ses entraînements, c’est à Mexico que le petit haltérophile belge a rendez-vous avec des hommes, les plus forts du monde. La foule, nombreuse, est venue voir gagner le meilleur. Reding sait qu’il a la sympathie d’une bonne partie du public, qui apprécie le courage de ce p’tit Belge qui s’attaque, seul, à ces puissances de l’haltérophilie que sont l’Union soviétique, avec Jabotinski et Batishev, et les États-Unis, avec Dube et Pickett.
Depuis Tokyo, les précédents JO, et sa 10e place, Reding attend ce jour.
Depuis douze mois, et sa quatrième place mexicaine, lors de la Semaine préolympique, la grande répétition générale en conditions réelles (altitude), il a travaillé comme un forcené pour tenter de réaliser son rêve. “Si je pouvais gagner une médaille...”
Depuis les Championnats d’Europe à Lénongrad, quatre moins auparavant, où il se classa deuxième derrière l’intouchable Leonid Jabotinski avec deux records nationaux en prime, Reding savait qu’un podium était à sa portée.
Mais la disparition de son père, en juillet, alors qu’il était à Font Romeu, en pleine préparation aux Jeux, faillit effacer des mois de travail. Sans son plus ardent supporter, le seul à qui il avait prédit qu’il allait réaliser le fabuleux total de 600 kg, il oublia son chagrin dans le travail, et redoubla d’ardeur. Au point qu’en septembre, à Ixelles, lors de sa dernière sortie préolympique, Reding améliorait trois de ses records nationaux : le développé (192,5 kg), l’épaulé-jeté (207,5 kg) et, surtout, le total olympique, avec 545 kg, soit une amélioration de 17,5 kg ! Ce jour-là, toute la Belgique se mit à croire en Reding...
20 kilos de moins sur la balance
Huit jours avant la compétition, le pessimisme était pourtant de rigueur. Serge Reding souffrait d’un déchirement ligamentaire au dos. Et il fallut l’intervention bénéfique du médecin de la délégation française pour que notre compatriote soit sur pied le jour J.
Au Teatre Insurgentes, dans la gigantesque avenue mexicaine du même nom, Reding libéra rapidement son anxiété. Dès le premier mouvement, le développé, son rival américain Ernie Pickett fut éliminé. À part Jabotinski et Dube, notre compatriote n’avait plus d’adversaires à sa taille. Le bronze était assuré.
Fallait-il s’en contenter ou prendre des risques pour tenter l’or ? Reding et son entraîneur, André Dupont, choisirent la sagesse.
Ainsi, après le deuxième mouvement, celui de l’arraché, pas précisément son point fort, Serge n’avait que deux kilos et demi de retard sur l’Américain, deuxième. Jabotinski, certain de sa victoire, s’arrêta à 202,5 kg à l’épaulé-jeté, le dernier mouvement. Le Russe assista à la suite en spectateur. Il vit Dube réussir 210 kg à sa troisième barre, puis Reding demander 212,5 kg. En cas de réussite, le Belge rejoignait l’Américain au total, mais le battait au poids de corps, accusant quelque vingt kilos de moins sur la balance. Il profita de l’instant, pour ne pas tout précipiter par une prise de barre trop rapide, par une main insuffisamment enduite de talc ou par manque de concentration. Il vint se placer devant la barre, puis au-dessus, se pencha et tâtonna pour trouver l’endroit le plus favorable pour saisir l’énorme masse de fonte. Serge Reding parvint à se glisser, accroupi, sous la barre qu’il maintint à hauteur des épaules, puis il se redressa. Il ne restait plus qu’à la jeter, bras tendus, au-dessus de la tête, mouvement que notre compatriote réussissait généralement avec une relative facilité. Le juge de plateau n’avait pas encore donné l’autorisation de déposer la barre que, malgré le terrible effort, Reding était rayonnant de joie. Son mouvement avait été effectué à la perfection. Le médaillé d’argent tomba dans les bras d’André Dupont. À Bruxelles, en apprenant la nouvelle, sa maman fut émue aux larmes. Là-haut, son père était fier de lui...
Comme les centaines de personnes, dont une forte délégation de jeunes de l’Athénée Royale de Woluwe-Saint-Pierre, qui l’accueillirent, en délire, à son retour, à l’aéroport de Bruxelles. Reding disputait alors à Eddy Merckx et Jacky Ickx le vedettariat du sport belge !
À Herbeumont, l’homme devint surhomme
C’est auréolé de son titre de Sportif Belge de l’Année 1968 que Serge Reding s’aligna à Varsovie, en septembre 69, la première compétition internationale importante après le rendez-vous mexicain. Les titres mondiaux et européens dans chaque catégorie étaient en jeu. Le palmarès polonais de notre compatriote fut remarquable : il enleva cinq médailles d’or sur les huit distribuées, deux mondiales (développé et épaulé-jeté) et trois européennes (développé, épaulé-jeté et total). Avec un total de 570 kg, il battait son record national, à vingt du Mondial de Jabotinski, dont l’abandon annonçait le futur déclin...
À Herbeumont, en avril 1970, au cœur de son village niché dans la vallée de la Semois, lors d’une rencontre Belgique-France-Allemagne organisée pour lui, Serge Reding battit deux records du monde : 215 kg au développé, et 222 à l’épaulé-jeté. À Zwevegem, le mois suivant, lors des championnats de Belgique, il battit à nouveau celui du développé, avec 218,5 kg... et continua sur sa lancée après deux records de Belgique pour arriver au prestigieux total de 600 kg, barre mythique, mais encore jamais atteinte à l’époque ! L’homme était devenu surhomme... Lors d’une compétition à La Roche, la même année, Reding battit encore le record du monde à l’épaulé-jeté : 226,5 kg. Avant d’empocher le titre mondial au développé, à Colombus, face au Russe Vassily Alexeiev, futur roi de l’haltérophilie (il avait, peu avant à Minsk, soulevé 612,5 kg aux trois mouvements), qui remporta le total, et prit à notre compatriote son record à l’épaulé.
Aux Mondiaux 1971, à Lima, Reding souleva 228 kg au développé, mais Alexeiev lui reprit dans la foulée son record du monde avec 230 kg, et le Belge repartit sans titre.
Aux JO 1972 de Munich, une blessure lors de l’échauffement le transforma en spectateur du sacre du Russe. Ce furent ses derniers Jeux. Après l’Olympiade allemande, la Fédération internationale décida de supprimer le développé, mouvement difficile à juger techniquement. Reding battit encore le record à l’arraché (182,5) à Ixelles, puis, lors des Championnats d’Europe de Vienne, en 1974, il s’empara de l’argent à l’arraché et du bronze au jeté.
En septembre de la même année, les Mondiaux de Manille furent sa dernière compétition. Victime d’une intoxication alimentaire, il perdit plus de douze kilos, ce qui ne l’empêcha pas de remporter une médaille d’argent et deux de bronze.
C’est aux Philippines que Reding avait rendez-vous avec son destin. Tragique...
La fin mystérieuse d’un grand champion

Était-ce parce qu’il était vraiment mal en point après les Championnats du Monde de Manille et qu’il devait soigner son intoxication alimentaire ou parce qu’il venait de faire la connaissance d’Yvonne Solidum qu’il resta aux Philippines au lieu d’effectuer une tournée d’exhibition qui devait le conduire à Hong-Kong, à Singapour et à Bangkok ? C’est ici que commence le grand mystère de la fin de la vie de Serge Reding...
Un véritable coup de foudre
Serge Reding rentre à Bruxelles, à la fin du mois de septembre 1974. Mais dès octobre, il repart à Manille en vacances, et revient à la Toussaint. Aux Philippines, il a placé un demi-million de francs belges en banque, sur un compte auquel Yvonne Solidum a accès. Puis, Serge attend l’arrivée en Belgique de celle qu’il veut épouser. Serge téléphone, écrit, envoie des fleurs, attend, quasi tous les jours, à Bruxelles-National. Le Sportif de l’Année 68 néglige ses séances d’entraînement au Centre national des sports. À Manille, Simone s’est offert une belle voiture, un commerce...
Serge Reding reçoit une lettre qui lui ouvre enfin les yeux sur le comportement de sa lointaine fiancée. Le rédacteur, introduit dans les milieux sportifs philippins, évoque non seulement les dépenses de la belle, mais aussi sa relation avec un major de la police. L’haltérophile voit rouge : il prend l’avion, et intente un procès à la famille Solidum. Yvonne doit revendre la voiture et rembourser, et est même condamnée à une peine de prison. Avant de prendre le chemin du retour, Serge Reding pardonne : sa fiancée échappe à l’emprisonnement, il lui laisse les 300.000 francs récupérés et lui promet de... l’épouser dès son arrivée en Belgique ! Le champion veut rester deux années dans son pays, sans doute pour préparer et disputer les JO 76 de Montréal, son dernier objectif, et gagner suffisamment d’argent pour ensuite ouvrir un hôtel-restaurant à Manille.
Mais comment récolter assez de fonds, lui qui travaille à la Bibliothèque royale, comme classeur ?
À Bruxelles, Serge Reding s’associe avec une femme d’affaires pour la reprise d’une taverne dans le centre de la capitale. Pour remettre en état cet établissement, ils sollicitent un prêt de deux millions de francs belges pour lequel cette dame se porte aval. Le mardi 17 juin 1975, le préposé de la Banque de Paris et des Pays-Bas, rue des Colonies, remet l’argent, sous enveloppe, à Reding. Selon son associée, quand l’haltérophile revient au restaurant, un peu plus tard, l’enveloppe est infiniment moins grosse. “J’ai déposé un demi-million dans un coffre”, aurait dit Serge à l’ami de la femme d’affaires... qui lui réclame la totalité de la somme, et immédiatement ! Serge promet de s’exécuter dans l’après-midi, puis téléphone qu’il ne pourra pas venir avant le lendemain en raison d’une réunion de travail qui s’est prolongée. Le mercredi 18 juin, ses associés disent ne pas avoir reçu de nouvelles. Plainte est déposée à la police. Silence radio jusqu’au samedi 28 juin de la semaine suivante, jour où fut annoncée la mort subite et foudroyante de Serge... à Manille !
Les deux fiancées de Serge
Aux Philippines, un homme produit alors une lettre, apparemment authentique, dans laquelle Serge Reding promet d’épouser sa fille... Adelpha ! Comme lorsqu’il refusa d’avouer sa séparation avec sa première femme, la Polonaise Eva, Serge, terriblement gêné de ses déboires avec Yvonne, refusant d’admettre qu’il avait bel et bien été berné, victime de sa bonté, s’était-il trouvé une fiancée de remplacement ? Mystère...
À Manille, Reding est retrouvé mort chez les Solidum à 6 h du matin. Étonnant : le médaillé d’argent de Mexico descendait d’habitude toujours à l’hôtel, ne supportant pas les fortes chaleurs et ne pouvant dormir ailleurs que dans une chambre climatisée... Sa crise cardiaque aurait-elle été justement provoquée par la température élevée qui régnait chez les parents de sa fiancée asiatique ? Mystère...
Pendant quatre jours, l’ambassade de Belgique demanda le certificat d’autopsie. En vain : les autorités philippines répondirent que le corps était déjà embaumé, donc vidé de ses organes et empli d’un produit qui le solidifie, et mis en bière. Sur le certificat d’inhumation, succinct, on lit que la victime pesait 125 kg. Or tout le monde savait que Serge ne pesait alors guère plus de 105 kg. Son importante et rapide perte de poids (il accusait quelque 140 kg avant les Mondiaux de Manille) peut-elle être la cause de sa mort subite ? Mystère...
Apprenant la plainte déposée à son encontre, et ne pouvant rendre l’argent emprunté, a-t-il décidé de mettre fin à ses jours ? Mystère...
Le Comité olympique belge prit en charge les frais de rapatriement du corps. Mais qui paya la mise en bière et l’embaument, là-bas, aux Philippines ? Mystère...
Pourquoi et comment est mort Serge Reding ? On ne le saura jamais. Dès lors, toutes les suppositions et hypothèses sont possibles...
Croyez-vous aux voyantes ?
Évidemment, après coup, n’importe qui peut avoir dit n’importe quoi. Mais nous vous livrons ici les révélations d’une voyante bruxelloise que Serge Reding allait consulter de temps et temps, et qui était devenue son amie et sa confidente. Cette dame nous a affirmé que Serge lui avait rendu visite le mardi 17 juin, à 15 h : “Il semblait nerveux, et m’a montré une grande enveloppe dans laquelle, me dit-il, il y avait une très forte somme qu’il avait empruntée à des amis belges. Il m’a dit partir pour les Philippines, via Paris (NdlR : ce qui expliquerait pourquoi on retrouva sa voiture, sur un parking, près d’une gare) , et compter revenir pour le mois de novembre, fortune faite. Je suis convaincu, je le sens, qu’il est mort par empoisonnement. Quant aux deux jeunes femmes dont vous me parlez; l’une est sa fiancée Yvonne, l’autre est la... sœur.”
La mort mystérieuse de Serge Reding laissa place à de nombreuses rumeurs. On est même allé jusqu’à écrire que l’haltérophile pouvait être en connexion avec les agents secrets soviétiques, parce que chaque année, étant invité à participer aux Coupes de l’Amitié en URSS, il partait en Aéroflot ! Sur les antennes de la radio publique, on relaya même une mauvaise blague, infondée, qui évoquait l’implication du champion dans une affaire de drogue à Manille !