Merijn Geerts, le Belge qui a couru 677 km en tournant en rond : “J’étais un joueur de snooker qui voulait perdre du poids”
Avant le Dernière Homme Debout ce week-end à Andenne, rencontre avec Merijn Geerts, co-recordman du monde de Backyard ultra avec plus de 677 kilomètres parcourus en 101 heures.
Publié le 24-03-2023 à 17h24 - Mis à jour le 24-03-2023 à 21h45
Devenir le 17e finisher de la Barkley Marathons, épreuve de 200 bornes et 20000 mètres de dénivelé positif considérée comme l’une des plus difficiles au monde, a d’ores et déjà fait de Karel Sabbe l’une des personnalités sportives belges de l’année 2023. Mais le dentiste gantois n’est pas le seul belge à aimer courir beaucoup et longtemps.
Dans un autre registre, Merijn Geerts a encore poussé le bouchon plus loin. Ce Louvaniste de 48 ans, père de deux enfants et inspecteur à l’Afsca, s’est érigé en machine à borner qui répète les dossards au long cours avec une régularité étonnante. À l’automne dernier, il a parcouru avec son comparse Yvo Steyvaert le total ahurissant de 670,5 km lors des Championnats du monde par équipe de backyard ultra, nouveau record du monde à la clé d’un concept qu’on doit, tout comme la Barkley, à Lazarus Lake. Sur une boucle à Kasterlee, en région anversoise, il a tourné en rond sur un circuit de 6,7 km pendant 101 heures. Le but du jeu, simple mais diablement usant, est de réaliser le tour en moins de 60 minutes. Avec un nouveau départ, jusqu’à plus soif, à chaque nouvelle heure.
Dans la foulée de ce qui reste pour l’heure sa référence absolue, on a ainsi vu Merijn Geerts sur Olne-Spa-Olne (69 km), la Montane Spine race en Ecosse (429 km, février) et sur le Legends Trail en Ardenne (275 km, mars). Ce week-end, il sera au départ du Dernier Homme Debout à Andenne, un concept similaire à la Backyard, mais sur 24 heures maximum et avec une boucle de 7,3 km au dénivelé appréciable.
Courir pour maigrir : il est passé de 96 à 75 kilos
Merijn Geerts n’était pourtant pas un coureur à pied à la base. “J’ai juste pratiqué un peu la gymnastique et le badminton en mode récréatif plus jeune”, nous racontait-il à Ferrières avant de s’élancer pour le Legends Trail. “Par contre, j’ai été bien plus assidu dans le monde du snooker, qui m’a vu autour des tables de compétition durant près de 25 ans. La course à pied ? J’ai commencé tout doucement voici une petite dizaine d’années. Je voulais juste perdre du poids et être plus athlétique. Pari réussi puisque, de 96 kilos, je suis passé aujourd’hui à 75 kilos… ”
"Prendre le départ d’une course avec en tête un chrono à améliorer ne m’intéressait pas"
Le Louvaniste remplaça d’abord la séance “cafétéria – bière – tasse de café” en attendant que les enfants fassent leur sport par un peu de jogging à l’extérieur. “Après un an de ce régime, j’ai accepté l’invitation d’un copain qui me proposait d’aller courir les 20 Km de Bruxelles. C’était en 2012 ou 2013, mon premier dossard. Cela s’est assez vite enchaîné puisque, l’année suivante, je disputais le marathon d’Eindhoven (3h22’)… ”
Le bitume et le monde de la course à pied sur route furent alors délaissés. “Ce n’était pas pour moi. Je ne voulais pas être compétitif. Prendre le départ d’une course avec en tête un chrono à améliorer ne m’intéressait pas. Je n’ai donc pas persévéré… ” explique-t-il, toujours laconiquement. Par contre, il trouva son bonheur en rencontrant des traileurs, dans les bois de Louvain. “Ce fut comme une révélation”, sourit-il. “Je me suis aperçu qu’il existait un monde de la course à pied dans la nature, avec des courses partout en Belgique. Les entraînements étaient plus faciles dans ce cadre, d’autant que j’étais toujours avec un groupe d’autres coureurs. Notamment avec www.dplusdinsdag.be, des ultra-traileurs comme moi avec lesquels je vais chercher du dénivelé pas trop loin de chez nous… ”
Bâti pour courir longtemps : 2500 kilomètres en course en 2022
La magie opère, la sauce prend. “J’ai disputé mon premier trail dans la région d’Aywaille, sur le Ohm trail 2018, version 50 km”, se souvient-il. “L’année suivante, j’ai bouclé mon premier vrai ultra, Another one bites the dust. Un 100 miles sur le même modèle que Le Dernier Homme Debout. J’étais vraiment curieux de voir comment j’allais réagir au fait d’être aussi longtemps en train de courir. Et j’ai vraiment aimé. Un autre monde pour moi qui, au tout début, pensais qu’il n’y avait pas plus long que le marathon en course à pied. Ma motivation première, qui était de trouver un hobby me permettant de rester en forme, restait. Mais après cette course, quand je me suis aperçu que je me sentais bien sur ce genre de format, j’avoue avoir voulu être plus performant… ”
Merijn Geerts est alors passé de 3 à 4 séances hebdomadaires à 6, voire 7. Il a également pris le parti d’ajouter du vélo. Tout en se documentant. “J’aime penser, lire, découvrir.”

“En 2022, Strava indique 5500 kilomètres pour toute mon année, dont 2500 en compétition”, ajoute-t-il “C’est pas mal. Je profite souvent de mes sorties pour tester des choses spécifiques J’essaie ainsi de m’habituer aux conditions que je risque de rencontrer sur la compétition suivante. Je teste des choses par rapport au froid, à la course de nuit, à la pluie… Je n’ai vraiment pas envie de gâcher un ultra à cause d’une mauvaise préparation. Je vais peut-être vous surprendre, mais je fais aussi des intervalles, histoire de ne pas perdre trop de vitesse. Mais la base de tout ce qui constitue mon entraînement, c’est de me fier à mes sensations et d’éviter de faire des choses que je n’aime vraiment pas faire. Des exercices de renforcement ? Oui, un peu. Tout comme du spinning. En vrai, je fais ce que je dois faire pour éviter les blessures. Il faut prendre soin de soi lorsque l’on court longtemps.”
La lutte contre le sommeil ou apprendre à dormir en marchant
Une compétition d’ultra, pour Merijn Geerts, peut durer des jours. Lors de son record du monde, il a passé près de cinq journées complètes à tourner en rond, tel un hamster, sur un circuit sans charme particulier ni relief.
"Je peux dormir 10 à 15 minutes contre un arbre et repartir. Il m’arrive aussi de dormir en marchant lentement..."
“Le plus difficile pour moi est la privation de sommeil et de lumière”, explique-t-il tout simplement. “À la base, je suis quelqu’un qui a besoin de 6 à 7 heures de repos. Quand il y a deux nuits à passer dehors, cela va encore. Plus, cela devient très difficile. Dans cette optique, l’idée est de prendre un maximum de repos avant une course. J’apprends de chacune de mes courses à ce niveau-là. Sur une longue épreuve, j’aime encore bien faire des micro-siestes. Je peux dormir 10 à 15 minutes contre un arbre et repartir. Enfin, il m’arrive de “dormir” en marchant lentement…”
L’ultra distance pour une déconnexion totale : “Je suis assez égoïste en fait”
La déconnexion par rapport au monde extérieur est totale sur un ultra. “J’aime ces moments où je me retrouve avec moi-même, sans avoir un mail auquel il faut répondre de suite. Sur ces courses, je suis généralement très focus sur moi-même, à l’écoute de mes sensations. Je suis assez égoïste en fait. Cela m’empêche de m’ennuyer. Et quand le parcours est beau, je ne m’ennuie jamais. Sur le Legends trail par exemple, il y a toujours quelque chose à regarder. Il m’arrive aussi de penser à la vie, c’est sûr. La famille, les enfants, le boulot… Un problème que je n’ai pas résolu et pour lequel j’essaie de trouver une solution. La musique ? Plutôt non. Je veux rester connecté à la nature, sans être perturbé par quelque chose d’artificiel.”
"La vie de tous les jours est banale. C’est dur d’atterrir après un ultra..."
La vie après l’ultra : “Je préfère courir plutôt que d’être sur les réseaux”
“Les ultras, ce sont des aventures où tu vis des choses incroyables, durant lesquelles tu ne vis que ça et rien d’autre”, complète-t-il. “Atterrir est difficile. La vie normale, celle de tous les jours, est tellement banale finalement. Oui, cela prend du temps pour faire la transition.”
Merijn Geerts doit aussi composer avec un nouveau statut parmi les coureurs. Et même parfois au-delà. “La notoriété ? C’est vrai que l’on a montré pas mal d’images dans les journaux après ce record du monde. Mais bon, cela ne fait pas du tout de moi un Bekende Vlaming. Lors de contrôles avec l’Afsca, après les habituelles questions-réponses, des personnes me disaient ‘hey, on t’a vu à la TV ‘. Mais cela reste très normal. En course, je ne sais parfois pas trop comment réagir lorsque l’on m’apostrophe. Ce n’est pas dans ma nature. Et encore moins les réseaux sociaux ! Je préfère de loin aller courir… ”