Gigounon: "Après un match de Goffin, je me défoule en faisant un jogging"
Germain Gigounon n’a que 33 ans, mais il a déjà vécu plusieurs vies. Le tennis sous toutes ses formes est resté son fil rouge : supporter, fan, joueur et coach.
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Publié le 30-03-2023 à 08h09
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Germain Gigounon n'a pas encore pu suivre beaucoup de matchs de David Goffin cette saison. Même si son protégé a zappé le mois de mars pour se remettre d'une blessure, le Binchois ne s'est jamais éloigné du tennis. La petite balle jaune a toujours rythmé sa vie depuis plus de 30 ans.
Supporter: “Le gamin qui disait les scores"
Comme l’immense majorité des joueurs pros, Germain Gigounon a hanté les bords de terrain du club de son papa, de son oncle et de son grand-père. Tous les week-ends, il se réveillait dès potron-minet avec sa petite raquette pour rejoindre le club de Binche à un lob de sa maison. “J’adorais ça, commence-t-il. Je regardais mon papa jouer. Je passais le filet. Durant les tournois, c’est moi le petit gamin qui passait prendre les scores pour les donner au juge-arbitre. Les clubs étaient toujours remplis. J’avais toujours un match à voir. Je tapais aussi la balle tantôt contre un mur tantôt avec mon papa. Je ne m’ennuyais jamais. J’avais l’impression que tout était génial. Je pouvais rester assis durant des heures.”
Fan: “J’adorais Sampras et son côté mystique”
Il ne manquait jamais ses cours et ses stages. Il a gravi les échelons au fil des ans. Il a joué en messieurs, 5 puis 4 puis… Le Binchois a très vite ressenti l’appel du circuit pro. Il s’est nourri des matchs et des attitudes des grands. “Moi, je voulais un jour être à Roland-Garros. Déjà petit, je rêvais d’être un pro comme Pete Sampras. Il survolait. Il avait un côté secret et mystique. Je n’oublierai jamais la première fois où je l’ai vu. J’étais tout en haut de la tribune sur le court Suzanne Lenglen de Roland-Garros. Sampras avait sauvé des balles de match avant de s’imposer au cinquième set.”
Durant les périodes scolaires, il revenait vite à la maison pour regarder à la télévision… du tennis. “Le mercredi midi, je me dépêchais pour regarder sur Eurosport une émission 100 % ATP de 30 minutes. Je ne ratais aucune information. Je voulais tout savoir.”
Il voulait aussi découvrir sans attendre tous les résultats. Il y a deux décennies, les applications n’existaient pas encore, mais les gens se connectaient sur le télétexte. “Durant l’Open d’Australie, je regardais le télétexte pour analyser tout ce qu’il s’était passé durant la nuit. Quand je partais en vacances en France, j’achetais L’Equipe pour faire des simulations sur les tableaux de Wimbledon. J’étais un fou de toutes les informations tennistiques. On ne parlait ni de streaming, ni d’appli, ni de live,… C’est drôle que vous m’en parliez car, avec David, on parlait récemment du télétexte qui n’avait rien de sexy, mais qui était très pratique.”
Joueur: “M’accrocher malgré tout”
Comme tous les enfants, Germain Gigounon se voyait en haut de l’affiche. Il rêvait de disputer la finale de Roland-Garros face à un Espagnol en remportant le cinquième set sur un passing gagnant. Sa réalité a pris d’autres traits. Il a glissé son nom jusqu’au 185e rang mondial. Il a surtout sévi sur les circuits ITF (458 matchs) et Challenger (97). Il a disputé 21 finales (20 Futures et 1 Challenger) pour un bilan de 14 titres ITF.
”Je suis fier de m’être toujours accroché”, dresse celui qui a pris sa retraite du circuit en 2019. “J’ai traversé beaucoup de moments difficiles, mais je me suis toujours relevé. Ma passion a toujours été là. À 30 ans, j’ai dit stop, mais je n’étais pas dégoûté. J’enchaînais les pépins physiques. Mentalement, je traversais un trou. L’ATP changeait son système de tournoi ce qui rendait ma planification plus compliquée.”
Il a achevé son parcours de joueur par un séjour de 18 mois en Espagne. “J’y ai trouvé un nouveau souffle, mais c’était un peu tard pour moi. J’aurais préféré être plus stable durant ma carrière.”
Son plus beau résultat ? “Roland-Garros d’office”
Quand il replonge dans le passé, il regarde tout autant les personnes croisées que les grands matchs gagnés ou perdus. Roland-Garros revient vite à la surface. À la seule force de sa raquette, il a pu pousser les portes du Chelem parisien. Il a même franchi les trois tours de qualification pour disputer son seul match dans un grand tableau d’un Major. “Tous les Grands Chelems sont mythiques, mais Roland-Garros, c’est un rêve de gosse. Il occupait une place particulière dans mon cœur. Je revenais de l’école en courant pour voir tous les matchs à Roland. Tous les soirs, je savais tout ce qui s’était passé. Je m’étais toujours vu disputer un match sur un court à la Porte d’Auteuil. Je l’ai fait.” Il a sorti Rui Machado (7-6 (3), 6-2), Alexander Kudryavtsev (4-6, 6-4, 6-1) et Alejandro Falla (6-2, 6-2). Au premier tour, il est tombé face à Richard Gasquet 3-6, 4-6, 0-6.
Son plus grand regret ? “Je me posais trop de questions”
Le tennis impose un véritable combat mental de tous les jours. Chaque semaine, l’immense majorité des joueurs perdent un match. Le lendemain, il faut se remettre en scelle. Germain Gigounon nourrit un regret, celui de ne pas avoir réussi à enchaîner les victoires lors de son année faste en 2015. “J’étais en bonne forme. Je me sentais bien sur le court. J’aurais dû enchaîner les matchs et les victoires. Mais, je me suis posé trop de questions. J’ai toujours été un émotif. Cela aide si tu le gères bien. Quand j’ai traversé des hauts, j’ai beaucoup trop réfléchi. Je n’étais pas assez serein. J’aurais dû me laisser bercer par l’attitude positive du moment. Être stable, c’est si dur. J’étais en permanence dans un processus de réflexion.”
Djokovic rappelle régulièrement la nécessité de vivre dans l’instant. Germain Gigounon confirme. “En tennis, on a souvent l’impression de jouer toute sa saison sur une semaine. Perdre fait partie du jeu.”
Sa différence ? “Impossible de me cacher dans une bulle”
Tous les joueurs ressentent le besoin de se calfeutrer dans une bulle protectrice. “Il est essentiel de ne pas se disperser. Le joueur de tennis se doit d’être égoïste. Il reste dans son coin. Moi, c’était le contraire. J’avais toujours besoin de gens autour de moi.” Et David Goffin ? “La situation est différente. Il est très sollicité par les médias. Les gens ne voient pas la totalité de sa vie. Il est normal qu’il adapte en fonction de ses besoins. La pression médiatique ? C’est difficile. En football, un média va allumer une équipe. En tennis, on enfonce un gars qui passe de héros à zéro en une semaine. Mais, sans les médias, il n’y a pas de business.”
Son compte en banque ? “Je n’ai rien pu mettre de côté”
Sur le site de l’ATP, Germain Gigounon a amassé sur les tournois ATP un prize-money de 238000 dollars, mais il manque les dotations de ses tournois ITF et ses partenaires privés. “Quand je jouais, les prize-moneys n’étaient pas comparables à ceux d’aujourd’hui. À Roland-Garros, ils ont doublé depuis 2015. Durant ma carrière, je m’en sortais bien, mais je n’ai pas pu mettre de l’argent de côté. Je n’ai jamais eu de stress à la fin du mois ou de la saison. Les interclubs en Allemagne et en France aidaient aussi.”
Coach: “J’ai appris à intérioriser”
Sa carrière de joueur l’a beaucoup aidé au moment de passer de l’autre côté de la barrière. Il connaît les difficultés psychologiques au quotidien. Il connaît aussi ce sentiment d’être dans un rollercoaster en permanence. Depuis qu’il a mis un terme à sa carrière de joueur en 2019, il a collaboré avec Yanina Wickmayer, Ysaline Bonaventure et depuis trois ans avec son pote David Goffin. Il a engrangé une belle petite expérience. “Les émotions sont toujours présentes. Le tennis me fait encore vibrer. Je ne vis pas le même stress. Mais, après une rencontre, je me sens vidé aussi. Il y a quelques années, un match me prenait toute mon énergie. Avec le temps, j’apprends à intérioriser. Je ne contrôle pas tout. Je dirais que le stress est plus passif.”
Trouver la bonne attitude dans le box, tel a été son challenge. Joueur exubérant, Germain Gigounon a accepté le rôle de l’entraîneur calme en apparence. Il a utilisé certains trucs et astuces pour réussir cette transformation. “Après un match, il n’est pas rare que je fasse un jogging pour faire tout sortir.”
Dans les coulisses, il discute volontiers avec ses homologues. Lors des entraînements partagés, il regarde les exercices proposés par l’autre staff. “Je m’inspire toujours de ce que je vois. Je me souviens d’une pré-saison à Ténérife avec Gaël Monfils et son coach Gunther Bresnik il y a un an. Je n’adhère pas à tout ce qu’il fait, mais j’ai beaucoup apppris en 10 jours.”
Le coach belge reste bien coté sur le marché. “Nous avons une approche positive avec un bon équilibre entre la quantité et la difficulté. Nos joueurs ont souvent une technique très propre comme Henin, Oli Rochus, Darcis, Goffin,…”
Les datas ont envahi les terrains de sport et les tableaux des coachs. Depuis des décennies, IBM collecte les stats des matchs. Les coachs vont plus loin encore. “Moi, je n’ai rien contre, mais je ne les utilise pas. Tout dépend du joueur. Les datas peuvent dénaturer le jeu. Si je prends David Goffin, il possède un super œil pour retourner les services. Si je commence à lui dévoiler des pourcentages de services à gauche ou à droite, il perdra une partie de son instinct. Si j’avais un joueur qui galérait sur les retours de service, je lui parlerais sûrement des stats de son adversaire. Je ne suis pas un malade qui analyse tout dans tous les sens. Parfois, un chiffre peut appuyer un ressenti. Je préfère l’approche humaine à une application.”
Son avis sur Djokovic et Nadal : “Djokovic est injouable, Nadal ne doit pas arrêter
Germain Gigounon a côtoyé sur le circuit Novak Djokovic et Rafael Nadal tantôt comme joueur tantôt comme entraîneur. Le Binchois n’a jamais caché son admiration pour ces géants qui ont animé et animent toujours le circuit au plus haut niveau. Il a un faible pour l’Espagnol. “Il ne doit pas arrêter, dit-il. Sa saison sur terre battue sera importante. Si physiquement, il tient le coup et remporte des grands matchs, il sera reparti jusqu’aux JO de Paris en 2024. Je ne serai pas surpris qu’il zappe toute la saison sur dur.”
Quant à Novak Djokovic, il ne voit pas le Serbe vieillir. "Quand il est bien, il est injouable. Il réussit tout à la perfection. Il vieillit, mais est de plus en plus fort. Il est clair qu’il aura tous les records, mais il ne sera jamais le numéro un dans le cœur des gens. Federer restera le plus magique. Djoko ressemble plus à une machine qui fait tout comme il faut sur un terrain. Je ne suis pas fan de le voir jouer. Pourtant, ses coups sont parfaitement réalisés. C’est juste que je ne vibre pas.”