Ils ont vu débuter Domenico Tedesco en Allemagne: "Il a gagné son premier match 12-0!"
Les premiers pas de Domenico Tedesco comme coach, en Allemagne, sont ceux d’un jeune technicien qui a su faire bonne impression, et marquer les esprits lors de ses débuts, chez les jeunes à Stuttgart, en D2 à Aue puis en D1 à Schalke 04.
Publié le 27-03-2023 à 07h44 - Mis à jour le 27-03-2023 à 07h45
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La Belgique et l’Allemagne, en football, c’est une histoire plutôt douloureuse. Les Diables rouges ont plus souvent perdu contre la Mannschaft, et parfois des matchs iconiques, comme le huitième de finale de la Coupe du monde 1994 ou la finale de l’Euro 1980.
Domenico Tedesco est Italien de naissance, mais son nom, ça ne s’invente pas, signifie Allemand, en italien. Débarqué de Rossano (Calabre), en Allemagne, avec ses parents à l’âge de deux ans, il est d’ailleurs considéré comme issu du sérail allemand, où il a suivi sa formation et a été majeur de sa promotion, devant Julian Nagelsmann.
Si un Allemand pouvait faire du bien à la sélection belge, sur la route de l’Euro 2024, cela évacuerait quelques frustrations du passé. Mais comment Domenico Tedesco a-t-il construit son parcours, au départ de Stuttgart, en passant par la D2 allemande, à Aue, puis à Schalke 04 , avant de s’envoler au Spartak Moscou et de revenir au pays, à Leipzig ?
Des moins de 12 aux moins de 17 ans
Une constante revient, pour commencer. Domenico Tedesco a l’art d’impressionner ses interlocuteurs lors du premier entretien. Détenteur d’un diplôme d’ingénieur, il a un sens aigu de la préparation, quel que soit le niveau qu’il côtoie, des enfants de Stuttgart à l’équipe nationale belge.
S’il a fait ses débuts d’entraîneur à Aichwald, un village à l’est de Stuttgart, où ses parents vivent toujours, c’est à Stuttgart, qu’il a écrit les premières lignes de son récit, réellement.
Il a alors à sa charge l’équipe des moins de 12 ans et il est un jeune technicien parmi d’autres. Il a 27 ans, un âge où on est encore sur le terrain, pas sur la touche, et rien ne le prédispose à prendre une équipe plus âgée, même s’il devient l’adjoint de Thomas Schneider (son actuel… adjoint en équipe nationale) pour entamer la saison 2013-2014.
À la fin de l’été 2013, Schneider est appelé à remplacer Bruno Labbadia, il faut donc lui trouver un remplaçant. Ralf Becker est le responsable de l’académie du VfB et sa première idée n’est pas de confier les U17 à ce jeune entraîneur qu’il ne connaît pas bien.
"Il avait une connaissance et une intelligence au-dessus de la moyenne."
”Un collaborateur a émis l’idée que Domenico reprenne l’équipe, mais je n’étais pas convaincu. Je lui ai alors proposé un essai de quinze jours, le temps qu’on se retourne pour trouver quelqu’un.” Il n’aura pas besoin de quinze jours pour convaincre… “Il a gagné son premier match 12-0 !" Becker glisse le nom de Tedesco à Fredi Bobic, alors directeur sportif de Stuttgart, et l’histoire est en marche.
”Il avait une connaissance et une intelligence au-dessus de la moyenne, se rappelle Becker, qui n’a pas perdu le contact avec Tedesco et espère venir le voir prochainement en Belgique. Il était toujours en apprentissage, à vouloir en savoir le plus possible. Il interrogeait, se documentait. Mais, surtout, c’était un bourreau du travail, il n’arrêtait jamais.”

Ralf Becker l’assure : “Je ne dirais pas que je m’attendais à ce qu’il fasse une telle carrière, mais son intelligence et son sens du travail ont été des atouts.” Un autre élément est avancé par l’ancien responsable de Stuttgart : “C’est une chose de comprendre le foot, de l’analyser, et Domenico est très fort sur ce point. Mais il faut aussi réussir à bien gérer un groupe. Quand j’ai vu comment il parvenait à convaincre nos jeunes joueurs, j’ai compris qu’il pouvait faire quelque chose.”
Tedesco est resté un peu moins de deux saisons à la tête des U17, et n’a échoué qu’en finale du barrage pour le titre, en 2015, contre les U17 du Borussia Dortmund de Christian Pulisic. Mais pour grandir, il a besoin de se développer, et Stuttgart ne lui offre pas cette garantie. Il débarque alors à Hoffenheim, où il restera, là aussi, moins de deux ans.
Dans ce club qui monte, il suit à la fois son cursus pour obtenir son diplôme d’entraîneur et il grimpe d’une catégorie, en prenant les moins de 19 ans dans la foulée de Julian Nagelsmann, appelé à reprendre l’équipe première. Comme à Stuttgart, l’histoire se répète et Tedesco fait encore parler de lui, au point de susciter l’intérêt d’un club de D2, qui se bat pour son maintien.
"Il a impliqué tout le monde, mais il a surtout amené un plan pour remonter. Impressionnant."
Erzgebirge Aue est dernier, quand Tedesco y débarque début mars 2017. Dans son entourage, on l’a encouragé… à refuser la proposition, allant jusqu’à lui dire : “Si tu échoues là, c’est la fin de ta carrière.” Six ans plus tard, tout le monde est soulagé de l’avoir vu réussir, Helge Leonhardt en premier.
Quand le président d’Aue rencontre Tedesco pour la première fois, il comprend qu’il y a quelque chose dans l’air. “J’ai tout de suite eu le sentiment que c’était la bonne personne pour remettre l’équipe sur les rails, explique l’industriel allemand. J’ai été séduit par sa détermination et son sens méticuleux du travail.”

En onze matchs, et six victoires, Tedesco amène Aue à la quatorzième place. “Il est resté peu de temps, mais il a laissé un souvenir incroyable, il a presque réalisé l’impossible.” Pour y arriver, Leonhardt met en avant le management de celui qui est devenu un ami. “Il a impliqué tout le monde, a ramené la confiance. Surtout, il a amené un plan pour remonter, le changement a été impressionnant.”
Il préfère Schalke à Leverkusen
Le maintien acquis à Aue, des clubs de Bundesliga commencent à s’intéresser à ce jeune technicien de 31 ans. Le Bayer Leverkusen le sonde, mais Schalke 04, surtout, passe à l’offensive et met les 500 000 € demandés pour l’embaucher.
Christian Heidel, le directeur sportif du club de la Ruhr, a lancé les carrières de Jurgen Klopp et de Thomas Tuchel, à Mayence. Il sait ce que c’est de donner sa chance à un entraîneur qui n’a pas un passé de joueur de haut niveau. “Ils amènent une autre perspective.”
"Notre premier rendez-vous a duré cinq heures. Il savait tout des problèmes, mais il apportait des solutions."
Heidel raconte son premier entretien avec Tedesco, et la manière dont il a été convaincu par le discours de son futur entraîneur : “Tout le monde cherchait à savoir qui serait le prochain entraîneur de Schalke. Pour éviter l’agitation médiatique, j’avais donné rendez-vous à Domenico chez moi, à Mayence.”
Le rendez-vous, estival, se déroule sur la terrasse familiale. L’entretien va durer cinq heures. “Il était venu avec son ordinateur et il savait tout des joueurs, des problèmes de l’équipe. Mais il apportait aussi des solutions.” Heidel est séduit par ce jeune technicien “charismatique, authentique”, qui parvient à faire tomber les barrières relatives à l’âge.

Il parvient, surtout, à gagner le respect de ses joueurs et du public. Il sait prendre des décisions fortes, comme retirer le brassard de capitaine à Benedikt Höwedes, ce qui rappelle, d’une certaine manière, le refus de rappeler Axel Witsel en sélection.
Deux histoires, racontées par Heidel, donnent une idée de la trace laissée. “Au début de la saison (2017-2018), un joueur expérimenté, Naldo (NdlR : près de 400 matchs en Bundesliga), est venu me voir pour me dire : Christian, j’ai dû attendre d’avoir 35 ans pour connaître un entraîneur pareil. Il est incroyable.” Tedesco n’a que 32 ans, mais il marque les esprits, et pas seulement pour son côté laptoptrainer.
"Il a fait asseoir les joueurs par terre, pas sur les bancs. Il leur a dit : regardez au-dessus de vous, vous ne pouvez que remonter."
Dans la Ruhr, la connexion se fait parfaitement et un match va rester dans les mémoires locales. Schalke arrache un partage contre le Borussia Dortmund (4-4) après avoir été mené 4-0 au repos. Heidel raconte le discours à la mi-temps, auquel il a assisté : “Domenico a fait asseoir les joueurs par terre, pas sur les bancs. Il leur a dit : regardez au-dessus de vous, vous ne pouvez que remonter.”
Le discours est posé, sans cri. Il n’y a pas d’urgence, juste un premier but à mettre, martèle-t-il, puis Dortmund doutera. La remontée se passe comme prévu, et ce nul venu d’ailleurs sera fêté dans les bars de la ville, très tard, ce samedi de novembre. Tedesco, lui, à peine rentré de Dortmund, s’est enfermé dans son bureau, pour revoir le match. Il n’en sortira que contraint et forcé, par une trentaine de supporters de Schalke, venus fêter ce partage comme une victoire devant le centre d’entraînement. Pour l’anecdote : Tedesco a invité ces supporters à partager un repas avec lui.
Schalke le regrette
”Cela donne une idée de ce que Domenico était apprécié par les supporters”, explique Heidel, dont le choix a été payant puisque, avec Tedesco, Schalke a fini deuxième du championnat d’Allemagne lors de sa première saison. La suite ne sera pas aussi belle, et une semaine après le licenciement du directeur sportif, en mars 2019, l’entraîneur est remercié par la direction de Schalke après une lourde défaite en Ligue des champions à Manchester City (7-0). "Je regrette encore que la direction se soit séparée de lui”, pointe Heidel, qui a gardé le contact avec un entraîneur qu’il n’aime pas comparer avec Klopp et Tuchel.
”On m’a souvent posé la question, mais je ne trouve pas correct de comparer Domenico à Jurgen et Thomas. Il n’est pas aussi avancé dans sa carrière, mais il est très intelligent et il a un grand sens du coaching. Tout est là pour en faire un aussi bon entraîneur que Tuchel.”
Si la Belgique peut profiter d’un coup de pouce “allemand”, autant en profiter.
