Rencontre avec Camille Bruyas, révélation 2021 du circuit féminin d’ultra-trail: "Gagner l’UTMB n’est pas une fin en soi pour moi"
La Française Camille Bruyas, 2e à Chamonix pour sa première participation, est la révélation 2021 du circuit féminin d’ultra-trail.
Publié le 01-01-2022 à 15h10 - Mis à jour le 01-01-2022 à 21h13
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Sur les bords du Lac d'Annecy, Camille Bruyas s'amuse de voir notre interview être interrompue par un admirateur lui demandant de signer un autographe pour sa compagne sur sa paire de chaussettes. "Tu vois, tu es une star désormais", rigole la traileuse et amie Perrine Tramoni, avec qui elle a partagé des cours de yoga au grand public à l'occasion de la MaXi-Race Annecy, où nous avons pu la rencontrer lors du dernier week-end d'octobre.
Le nom de Camille Bruyas ne vous dit peut-être pas grand-chose mais la Française de 29 ans est assurément la belle surprise du circuit d’ultra-trail féminin 2021. Une athlète entière, loin de se prendre la tête, et dont on devrait encore entendre parler dans les années à venir.
Dans le microcosme de l’ultra féminin, il y a bien sûr Courtney Dauwalter. Première dame avec une 7e place au classement général de l’UTMB en août dernier, l’Américaine, 36 ans, est un phénomène sur et en dehors des sentiers.
Mais sa performance ne doit cependant pas éclipser celle de Camille Bruyas, qui courait en 2021 pour la première fois sur l’ultra le plus convoité au monde. La kinésithérapeute aujourd’hui installée à proximité d’Annecy après avoir vécu deux ans à la Réunion a épaté en grimpant sur la 2e marche du podium (17e au général), après un jour et 9 minutes d’effort pour boucler les 171 km (10 500 D +).
Rencontre…
Camille Bruyas, est-ce que votre quotidien a changé depuis votre deuxième place à l’UTMB ?
"Non, ma vie n’a pas changé (rires). Je suis retournée au boulot deux jours après. Un peu comme tout le monde. C’était dur, je le reconnais. J’ai d’ailleurs pris un bon mois pour récupérer. J’avais accumulé beaucoup de fatigue et je n’avais plus envie de faire grand-chose au niveau de l’entraînement. J’avais besoin de penser à autre chose."
Ce retour à la vie normale, est-ce difficile à accepter après une telle performance ?
"Non, pas du tout. La façon dont je vis est un choix totalement assumé de ma part. Et je n’ai aucun souci avec ça, au contraire. J’ai mon boulot d’un côté et ma pratique sportive de l’autre. C’est mon équilibre et je ne souhaite pas que cela change. J’ai un job qui fait sens pour moi et je peux ajuster mes horaires et mon planning avec mes objectifs et mes entraînements. C’est le top, tout simplement."
Vous mettez l’équilibre de vie et la passion pour ce que vous faites en avant, un peu comme François D’Haene, quadruple vainqueur de l’UTMB, le fait sans cesse. Vous partagez cette philosophie de vie malgré vos résultats et l’entraînement que cela nécessite ?
"Tout à fait ! C’est exactement ça que je prône. Vous savez, le trail, et encore plus l’ultra, c’est un petit milieu à part, un sport très récent qui a de vraies valeurs. Il ne faut pas qu’elles se perdent malgré son développement. Je pense donc que c’est une excellente chose que cette discipline puisse avoir des athlètes qui vivent normalement, qui profitent des bonheurs de la vie. C’est génial que ce sport puisse nous permettre cet équilibre. Cela ne peut qu’être positif pour l’athlète car quand la tête va bien, le corps suit. Je suis bien consciente que ce n’est pas une vision partagée par tout le monde dans le milieu mais je suis persuadée que c’est la bonne manière de faire, en tout cas celle dans laquelle je me retrouve."
L’ultra-trail permet encore aujourd’hui de briller au plus haut niveau tout en s’épanouissant dans d’autres projets professionnels. Vous y voyez là l’un des attraits majeurs de la discipline ?
"En fait, je trouve ce sport tout simplement fantastique. Pour cette raison évoquée mais aussi par tout ce qu’il permet. Quand on est traileur, on peut skier, faire de l’escalade, courir sur tous les terrains de jeu. Bref, tout faire ou presque en matière de sport. Et cela reste de l’entraînement puisque, au final, cela est bénéfique pour sa pratique. Il n’y a pas beaucoup d’autres disciplines où on peut se permettre cela tout en ayant des objectifs de haut niveau."
On dit de vous que vous vous laissez porter par vos envies. C’est la réalité ?
"Oui, je vis beaucoup au jour le jour (rires). C’est vrai que j’ai du mal à me projeter. Des fois, ça ne me ferait pourtant pas de mal. Mais ça va peut-être venir, avec des objectifs à long terme. Histoire d’avancer un peu."
Remporter, un jour, la Diagonale des Fous à la Réunion, là où vous avez véritablement découvert le trail, c’en est un ?
"Oui, bien sûr, je vais y retourner (NdlR : elle a fini 5e de l’épreuve en 2018, après avoir remporté La Mascareignes en 2016 et le Trail de Bourbon en 2017 dans le cadre du Grand Raid). Mais je ne dirais pas que c’est un fil conducteur dans mon parcours, mais je veux clairement y retourner un jour. Ne me demandez pas quand ni comment par contre (rires). En fait, je n’ai pas de plan de carrière ou d’apothéose rêvée. L’UTMB, tout le monde m’en parle. Mais le gagner n’est pas une fin en soi pour moi. Bien sûr, c’est une belle course, un incontournable mais ce n’est pas un objectif de vie sur lequel je veux tout miser. Je ne fonctionne pas comme ça. Je fonctionne plutôt avec des suites logiques, des enchaînements, des compromis. Sur base de cela, je fais mon programme, un peu comme chaque passionné de course à pied peut le faire finalement. Parvenir à tout combiner n’est pas toujours facile, pour moi également, mais je suis convaincue qu’on peut arriver à mener différents projets de front si on voit les choses positivement."
Que peut-on donc vous souhaitez pour 2022, même si vous ne vous projetez pas ?
"Que je me fasse plaisir, tout simplement. Là est l’essentiel pour moi."
"La piste m’a appris à courir, tout simplement"
La Française a touché à toutes les distances avant d’exprimer son potentiel.
Camille Bruyas a grandi à Saint-Denis-sur-Coise, dans le département de la Loire. À quelques kilomètres du parcours de la SaintéLyon qu’elle a remportée en 2019. C’était après une escapade de quelques années sur l’île de La Réunion, là où elle est véritablement tombée amoureuse du trail.
Mais rien ne prédestinait celle qui est aujourd’hui installée à proximité d’Annecy et de son magnifique terrain de jeu à la pratique de l’ultra. Voici dix ans, c’est sur les pistes d’athlétisme qu’elle s’exprimait encore, après avoir fait ses classes sur les parquets de basket-ball.
"J'étais à des années-lumière de l'ultra à vrai dire à cette époque, raconte-t-elle. Je n'ai découvert le trail qu'à La Réunion. Là-bas, le meilleur moyen de se déplacer dans les cirques est de le faire à pied. Et tout le monde fait du trail ou presque. Et participe à la Diagonale des Fous…"
Cette habitude de se mouvoir par ses propres moyens fait partie de son mode de vie depuis toujours. "Petite, j'habitais dans un petit village à la campagne. J'ai toujours couru ou roulé en fait, pour aller voir les copains. La course à pied, je l'ai donc toujours connue. Pas pour faire un chrono mais pour me déplacer. Forcément, quand j'ai été confrontée au trail, cela m'a directement plu. Et l'ultra est une des disciplines dans lesquelles je parviens à m'exprimer le mieux vu mes qualités physiques. On cherche tous sa distance de prédilection et, de mon côté, je pense que j'ai pas mal exploré, du 200 mètres sur piste à l'ultra-trail (rires). Mais j'adore les formats plus courts. J'y reviendrai aussi, bien évidemment."
Les bienfaits de l’athlétisme
Aujourd’hui, elle souligne encore l’importance de ses quelques années passées sur la piste dans sa réussite sur les sentiers.
"La piste m’a apporté une économie de course que je n’aurais probablement pas eue. Mais aussi une culture des éducatifs que, en trail, peu de gens font finalement. L’athlétisme, ça t’apprend à courir, tout simplement. Moi, on me donne une raquette de tennis, je ne sais pas jouer. Tout simplement parce qu’on ne m’a jamais appris. Oui, j’arriverais à renvoyer la balle mais pas de la manière dont il faut le faire pour progresser. C’est la même chose avec la course à pied. Il y a une part d’inné au fait de courir, mais pas uniquement. Cela s’apprend et cela se travaille, plus qu’on ne le croit. À ce niveau, l’athlétisme peut apporter beaucoup."
"Les 50 derniers kilomètres sont toujours difficiles…"
Le Lavaredo Ultra Trail et ses 120 km à travers les Dolomites figure également au palmarès de Camille Bruyas en 2021. Mais l’UTMB, après la Diagonale des Fous en 2018, ne constituait que sa deuxième expérience sur un "100 miles".
"D’ailleurs cette Diagonale, bien que je l’aie terminée à la cinquième place, fut un calvaire sur la fin. Pour tout dire, j’avais trouvé ça horrible. À l’UTMB, ce fut différent. Bien sûr, c’est toujours difficile de boucler une telle distance. Particulièrement les 50 derniers kilomètres. Mais je me suis longtemps régalée, c’était le bonheur. Ça m’a réconcilié avec ce format."
Avec une arrivée à Chamonix face à la foule et dans une grosse ambiance, autre particularité de l'UTMB. "Mais ce n'est pas ça que je retiens, coupe-t-elle de façon un peu surprenante. Avec tout ce monde, je dois avouer que j'ai même eu un peu peur. Autant de gens réunis pour une seule et unique personne… Je me disais : 'Non, je ne mérite pas tout ça.' On m'avait dit que c'était particulier mais je ne m'attendais pas à ça. Mais j'y retournerai, évidemment !"